top of page

Bibliothèque Ressources

Histoire d'autrice, de l'époque latine à nos jours
Aurore Evain - Sorbonne Nouvelle

Aurore-Evain.jpg

Paru dans SÊMÉION, Travaux de sémiologie n° 6, « Femmes et langues », février 2008, Université Paris Descartes

 

Résumé : Cette recherche s’appuie sur un corpus, non exhaustif, de cent cinquante occurrences des termes auctrix et autrice entre le Ier et le XXIe siècle. Celui-ci dessine une chronologie de l’usage qui recoupe à la fois les grandes étapes de l’histoire de la langue, de la fonction auteur et de l’accès des femmes à la sphère publique. Il témoigne surtout de la légitimité terminologique de ce féminin pour désigner la femme qui écrit. Nous nous attardons plus particulièrement sur le XVIIe siècle, lorsque la langue s’institutionnalise et se politise, étape-clé dans l’effacement du féminin autrice et la généricisation du masculin auteur.

Mots clefs : autrice, auctrix, Académie française, histoire, dictionnaires, usages.

 

Abstract : Although based on a non-exhaustive corpus, this research establishes a chronology of the usage of the terms “autrix” and “autrice” in one hundred and fifty instances ranging from the first to the twenty-first centuries. By studying these occurrences through major developments in the history of language, the function of the author and the access of women to the public sphere, it posits above all the feminine terminological legitimacy for female authorship. This work engages an in-depth analysis of the seventeenth century as the turning point for the institutionalization and politicization of language when the erasure of the feminine “autrice” gave way to the genericization of the masculine “auteur”.

Key words: Autrice, auctrix, authoress, French Academy, history, dictionaries, written/spoken usage.

 

(Nous remercions la revue SÊMÉION, et en particulier, Anne-Marie Houdebine, qui nous a aimablement autorisée à reproduire et à mettre en ligne cet article).

 

L’histoire d’autrice, dont nous proposons ici une rapide esquisse, est passionnante à plus d’un titre, car elle recoupe à la fois l’histoire de la langue, celle de la fonction auteur et les étapes de l’accès des femmes à la sphère publique en général, et à la création en particulier. Elle permet surtout de mettre à bas certains préjugés concernant la soi-disant incongruité de ce féminin et son incapacité à désigner la femme qui écrit. Le développement des glossaires, la numérisation croissante des textes anciens et les offres de recherches croisées que fournit Internet devraient permettre à l’avenir d’approfondir cette histoire, et de corriger ou affiner cette première synthèse(1).

(1) Nous présentons ici un aperçu très synthétique de cette recherche basée sur un corpus non exhaustif de 150 occurrences. Les références des principales occurrences citées sont accessibles sur le site de la SIEFAR (www.siefar.org, rubrique « La guerre des mots »). Par souci de clarté, nous homogénéisons l’orthographe latine sous la forme auctrix.

 

  1. AUCTOR OU AUCTRIX, UN VIEUX DÉBAT…

Si la rareté des textes littéraires conservés et l’absence de nombreuses autres sources écrites ne permettent pas de statuer sur l’emploi ou non du féminin auctrix à l’époque classique, l’usage épicène d’auctor par trois grands poètes de la littérature antique entre le IIe

s. av. J.-C. et le Ier s. ap. J.-C. a pourtant joué un rôle central dans l’histoire de ce féminin, en servant ses opposants. Cet emploi du masculin auctor pour désigner des figures féminines (dont deux déesses) par Plaute, Ovide et Virgile dans trois textes relevant de genres littéraires divers – le théâtre, la poésie, l’épopée - a servi en effet de principal argument aux premiers grammairiens latins, puis français pour bannir ce féminin de la langue. C’était pourtant faire l’impasse sur les nombreux usages de l’auctrix latin par les premiers auteurs chrétiens.

En effet, au cours des premiers siècles du christianisme, les occurrences de ce féminin se multiplient. Il sert notamment chez Tertullien et Saint Augustin à désigner les grandes figures féminines des Écritures pour signifier qu’elles sont à l’origine des vertus ou des péchés, créatrices de grâce, essences de pureté, autrices de vie, etc. Après l’Olympe et ses déesses amazones qualifiées au masculin, Marie, Ève, Rachel deviennent les autrices d’une sorte de royaume féminin, où les femmes, porteuses de valeurs et créatrices d’histoire, sont au premier plan au côté de Dieu, le grand Auteur, dans le récit de la chute et de la rédemption de l’humanité. L’emploi d’auctrix vient donc configurer un monde où s’associent masculin et féminin dans l’ordre de la création : chez Tertullien la matière est ainsi "autrice de vie avec Dieu, et souveraine avec lui" (Adversus Hermogenem, "auctrix cum deo et domina cum deo"). Plusieurs occurrences se rapportant à des entités abstraites (l’âme, la magie, Rome…) dans des textes très variés semblent aussi confirmer cette valeur sémantique liée à la force originelle, motrice, voire même politique. Car si auctrix évoque la genèse de la vie dans sa forme féminine, il ne se réduit pas à cette valeur essentialiste, mais évoque aussi un nouvel ordre social qui repose sur le partage et l’égalité des forces. Cas le plus intéressant, les premières ouvrières chrétiennes se parent du titre d’auctrix : alors que le travailleur et la travailleuse incarnent désormais un idéal de vertus, dans un monde fondé sur le mérite, où l’on se glorifie de vivre de son labeur, les mentions "amatrix pauperum et operaria" et "laborum auctrix" font leur apparition sur les tombes des premières chrétiennes.

Cet usage d’auctrix a été consacré par la tradition chrétienne, au point qu’on le retrouve dans de nombreux sermons tout au long des siècles. En 1600, Saint François de Sales n’hésitera pas d’ailleurs à recourir au français autrice pour traduire le terme latin dans un texte de Tertullien. La tradition médicale poursuivra également dans cette voie, et les traités scientifiques de l’Ancien Régime recourront souvent à auctrix, ou à son équivalent français autrice, pour décrire l’origine d’un mouvement ou d’une action.

Mais, très tôt, du côté des spécialistes de la langue, les résistances se mettent en place, et, en dépit de l’usage, l’autorité des savants aura raison de ce féminin. La première attaque commence dès le IVe siècle, au moment où des grammairiens latins, en légiférant la langue, posent les premières règles concernant l’emploi des féminins. Au départ, elles se veulent de simples constats : Maurus Servius Honoratus reconnaît ainsi que le terme auctrix est effectivement disponible, mais que la coutume veut qu’on utilise auctor. Or, ce commentateur de Virgile, qui met ici en valeur son propre travail d’érudition sur l’œuvre virgilienne, est aussi un homme de religion romaine : ce faisant, il passe donc sous silence les nombreux emplois du terme chez les auteurs chrétiens. Pourtant, les mécanismes de construction de l’histoire vont opérer, et l’autorité de cet érudit va peser sur ses continuateurs, au point qu’au VIIe siècle, le très chrétien Isidore de Séville, évêque éminemment cultivé qui a lui-même utilisé le terme auctrix en parlant de Marie (De ecclesiasticis officiis), affirme désormais dans son livre X de l’Étymologie (« De Vocabulis », lettre A, ligne 2) qu’il n’est pas possible d’employer auctor au genre féminin et qu’il fait partie de ces quelques noms qui restent invariablement masculins, tel cursor (conducteur de char). Une étape est franchie : l’interdit est plus clair, le recours à auctrix est identifié comme un mauvais usage, et la stricte séparation des rôles et des espaces entre les sexes s’invite dans la langue. C’est désormais ce discours qui prévaudra chez les « législateurs » de la langue, et ce jusqu’à nos jours…

​     2. LA SAVANTE DU MOYEN ÂGE, UNE "AUCTRIX DEI"

En revanche, du côté de l’usage, auctrix continue de faire son chemin tout au long du Moyen Âge. Et c’est même entre le Xe et le XIIe siècle qu’apparaissent les premières occurrences de ce terme en art et littérature. Qui plus est sous la plume et le pinceau de femmes artistes, qui sont aussi trois religieuses et mystiques célèbres dans les milieux savants de leur temps : Hrotsvitha de Gandesheim, première dramaturge en Europe, et Hildegard de Bingen, qui, dans un drame et un motet, qualifient Marie par ce féminin ; et surtout Ende, enlumineuse espagnole, qui signe ses œuvres en se présentant comme depentrix et dei auctrix. Dans la lignée de la tradition chrétienne, l’intervention des femmes en art s’accompagne donc d’une appropriation de ce féminin, toujours dans un rapport de complémentarité avec ce dieu dont elles sont les messagères. Mais si la postérité, grâce au travail de quelques grammairiens, a retenu l’emploi épicène d’auctor par un trio de poètes antiques, force est de constater que l’usage d’auctrix par ces trois nonnes médiévales, pourtant réputées à leur époque, a laissé bien peu de traces dans les Histoires de la langue… L’historiographie littéraire est en effet au cœur de la question de l’éradication du féminin autrice, car les hommes qui vont l’écrire sont aussi ceux qui statueront sur la langue et définiront les usages en matière de féminisation, sélectionnant références et citations en fonction de leur culture (influencée par les canons antiques) et de leur idéologie (bien souvent misogyne(2).

Pour comprendre l’enjeu de ce féminin, il suffit d’étudier les conditions de son référencement dans les premiers lexiques et dictionnaires latin-français qui apparaissent à partir du XIVe siècle et de comparer cette indexation avec celle d’un autre féminin, aujourd’hui parfaitement assimilé, à savoir actrix/actrice. Il en ressort que si ces premiers recueils lexicaux intègrent tous le féminin auctrix, ils accordent au couple lexical auctor/auctrix un sens très appauvri, les définitions se contentant d’indiquer accroisseur/accroisseresse, ou encore augmenteur/augmenteresse. À l’inverse, le terme actor y recouvre un champ sémantique large et varié, mais il n’admet pas de féminin. Or, à cette époque, ce mot ne qualifie pas seulement l’homme qui joue la comédie, il désigne surtout des fonctions sociales et des métiers liés au droit, à la justice, à la gestion et même à la littérature, puisqu’il peut désigner un fatiste, un faiseur de livre, bref un auteur…

Le croisement qui va bientôt s’opérer, au cours du XVIIe siècle, entre les féminins français autrice et actrice, à une période clef de l’histoire de la langue, illustre de façon très nette les enjeux de la féminisation pour certaines élites : il en ressort une nouvelle fois que l’existence lexicographique d’un féminin dépend moins des critères d’usage, d’analogie ou d’euphonie habituellement mis en avant, mais bien de la valeur sémantique que le terme recouvre au masculin. Quand cette valeur est forte, plurielle et socialement valorisante, le féminin n’est pas référencé dans les ouvrages sur la langue, même si la place des femmes dans la société peut justifier son emploi. C’est le cas en latin pour le féminin d’actor jusqu’au XVIe siècle ; ce sera le cas en français pour le féminin d’auteur à partir du XVIIe siècle. Apparaîtra actrice quand le terme acteur se limitera au sens de « comédien » ; disparaîtra autrice quand la fonction « auteur » s’institutionnalisera et se dotera d’un prestige littéraire et social.

 

 

(2) Sur le développement de la misogynie dans les milieux des clercs à partir du XIIIe siècle, voir l’étude d’Éliane VIENNOT, 2006, La France, les femmes et le pouvoir, vol. 1, chap. 8, « L’irrésistible ascension des clercs », Paris, Perrin.

 

     3. LA RENAISSANCE ET SES PREMIÈRES AUTRICES

Mais, une fois encore, cette évolution n’ira pas sans résistances. Du côté de l’usage, et en particulier celui des femmes, c’est au moment de l’apparition de l’imprimerie et du développement du français comme langue nationale que les occurrences d’autrice dans cette langue se diversifient, prenant des sens de plus en plus riches et variés. En l’état des recherches, nous devons le premier emploi de ce féminin en français à une princesse, Madeleine de France, fille de Charles VII, qui se présente dans une lettre patente de 1480 comme "mère, autrice et gouvernante de François-Phoebus, roy de Navarre, duc de Nemours". Au siècle suivant, c’est Marguerite d’Autriche qui se déclare "autrice de paix" dans une lettre adressée à l’Empereur (1526). À cette époque, les exemples se multiplient, et tous les types d’écrit sont concernés : correspondance, traité, théâtre, mémoires, poésie, etc. Mais le cas le plus intéressant reste celui du Brief discours : que l’excellence de la femme surpasse celle de l’homme, de Marie de Romieu, publié en 1581. Il s’agit, dans notre corpus, de la première occurrence rencontrée qui a le sens d’écrivaine, de surcroît dans une littérature féministe. Il est employé par l’imprimeur dans son Avis au lecteur, pour mentionner Marie de Romieu, la "demoiselle autrice du précédent discours".

C’est également au XVIe siècle que paraissent les premiers traités de grammaire moderne, où commence à poindre le débat sur les genres3. Au XVIe siècle, notamment, les grammairiens hésitent encore : pour certains, le français a quatre genres (le masculin, le féminin, le commun et l’épicène), pour d’autres il en a trois (absence de l’épicène ou du genre commun), et pour d’autres encore seulement deux. Les termes de métier, office et dignité sont souvent au cœur des préoccupations : acceptent-ils un féminin, sont-ils des masculins à valeur générique, des épicènes, des neutres ? Si auteur/autrice n’alimente pas encore les discussions, il va en être tout autrement au XVIIe siècle. Les nouveaux académiciens et lexicographes vont s’employer à statuer sur son cas, et la question sera vite tranchée, entérinant du même coup la valeur générique du masculin, considéré comme le seul genre capable d’inclure et de représenter l’universel.

 

     4. LE GRAND SIÈCLE LANCE LA GUERRE À AUTRICE

Au cours du XVIIe siècle, on assiste en effet à une véritable guerre menée contre autrice. Tandis que son emploi en littérature et dans l’usage courant poursuit son essor, du côté des grammairiens et de certains lettrés l’opposition à ce féminin se durcit. Car l’enjeu est de taille : alors que ce siècle assiste à "la naissance de l’écrivain", que l’institutionnalisation de la langue et la professionnalisation du champ littéraire ouvrent les portes à l’ascension sociale, l’éducation féminine se développe et une nouvelle génération de femmes de lettres fait son apparition. Issues de milieux moins favorisés que leurs prédécesseuses, elles aspirent à faire carrière et à vivre de leur plume. L’usage de la langue vient d’ailleurs conforter l’émergence de cette nouvelle figure : près de la moitié des occurrences réunies désignent des femmes qui écrivent. Ce féminin a également une entrée spécifique dans un dictionnaire qui suit de près l’usage contemporain (Dictionary of the French and English Tongues, Cotgrave, 1611). C’est enfin et surtout le terme consacré pour désigner, dans la presse et dans les registres administratifs de la Comédie-Française, les premières dramaturges professionnelles qui, entre 1660 et 1690, viennent se confronter à l’un des derniers bastions littéraires masculins que représente le théâtre, ce genre réputé "mâle".

 

(3) Voir à ce sujet LARIVIÈRE Louise-L., 2000, Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique, ou à la recherche des mots perdus, Montréal, Boréal, et KHAZNADAR Edwige, 2002, Le Féminin à la française, Paris, L’Harmattan.

 

Le camp des « pro-autrice » et surtout celui des « anti-autrice » s’organisent, de façon sous-jacente, dans la première moitié du siècle, au moment où se mettent en place les nouvelles institutions littéraires censées servir la politique culturelle de Richelieu, et dont l’Académie française, créée en 1634, est la principale pierre. La querelle oppose, par textes et lettres interposés, une artisane de la langue, Marie de Gournay, et l’un des premiers membres de cette Académie non mixte, Guez de Balzac. L’une, latiniste brillante, se pose en défenseuse des mots contre ceux qui veulent, derrière Malherbe, réglementer la langue. L’autre est l’un de ces réformateurs, grand poète de la préciosité et fervent admirateur de la culture antique. Elle est une autodidacte, une féministe et l’une des premières écrivaines à se mêler de la Langue et à faire carrière par la littérature. Lui a eu des mots très durs contre les savantes et les femmes de lettres. Enfin, si Marie de Gournay utilise à plusieurs reprises autrice dans ses œuvres, Guez de Balzac, de son côté, citant auteurs et grammairiens latins, va le bannir et s’employer à établir un certain nombre de règles et d’interdits quant à l’usage des bons et des mauvais féminins. C’est le début d’une longue liste de "il faut dire… il ne faut pas dire…" qui s’égrènera au fil des dictionnaires pendant plus de trois siècles. Et la lettre de Guez de Balzac à M. Girard datée du 7 mai 1634 est un modèle du genre, en même temps qu’une attaque implicite contre les usages de Marie de Gournay en matière de féminins. Car s’il n’est   pas surprenant   de le voir   proscrire les féminins en –esse (« poétesse »,

« philosophesse », « jugesse », « capitainesse »…), qu’il trouve vieillis et hors d’usage dans le nouvel ordre du langage, il est par contre un vigoureux défenseur des féminins en -trice4. Ce n’est donc pas ici la construction morphologique d’autrice qui peut le gêner. Il est d’ailleurs un défenseur de la loi de l’analogie : il crée ainsi « baladine » et accepte « avocate » (au sens fig.). Il a surtout participé à la promotion des féminins « judicatrice », « divinatrice »,

« instigratrice ». Mais l’analogie a ses limites, posées par d’autres impératifs que ceux de la langue : une lecture en creux prouve qu’il s’agit moins de censurer un féminin que de condamner la femme qui écrit. Si Guez de Balzac accorde à Marie de Gournay d’être nommée "la traductrice de Virgile", elle ne saurait être une "autrice". Et encore sera-t-elle rappelée à l’ordre. À celle qui a osé introduire ce féminin dans sa traduction du Second Livre de l’épopée virgilienne et qui a revendiqué « tyranne » au nom de la réciprocité des genres, Guez de Balzac répond indirectement qu’il faut "se conformer à la divine Énéide, dans laquelle Junon dit de soi-même, auctor ego audendi" et que les traces conservées d’autrice ou tyranne en latin ne sont que les marques d’un Empire en déclin…

Les grammairiens et lexicographes de la seconde moitié du siècle vont à leur tour s’appuyer sur la lettre de Guez de Balzac et ses citations pour affirmer de façon plus définitive encore qu’auteur n’admet pas de féminin5. Et, alors que la concurrence est grande entre les différents savants pour sortir avant l’Académie le premier dictionnaire de langue française, la pratique de l’exemple sera, pour tous, un bon moyen de propagande afin de faire passer dans l’usage les nouvelles règles en matière de féminisation. "La reine Marguerite fille de Henri II était auteur", "on dit aussi d’une femme qu’elle s’est érigée en auteur quand elle a fait quelque livre ou pièce de théâtre", "c’est elle qui est l’auteur de ce livre"… autant de prescriptions qui, bien que s’opposant à l’usage pour qualifier les romancières et dramaturges de l’époque, feront pourtant, sous l’autorité de l’Académie, leur effet, entraînant l’éradication d’autrice dans les manuels de langue au XVIIIe siècle. En moins d’un siècle, avec la normalisation et la politisation de la langue, disparaît donc autrice au moment même où son emploi est le plus justifié, alors que de nombreuses femmes aspirent à faire carrière dans les Lettres.

 

 

(4) Sur les féminins en –trice sous l’Ancien Régime, voir l’article de ŠTICHAUER Jaroslav, « Amatrice, autrice, cantateur (le discours sur les féminins en –trice aux XVIIe et XVIIIe siècles) », Écho des études romanes, vol. 1, n°1, p.7 (en ligne : http://www.pf.jcu.cz/veda/eer-i1.php).

(5) La lettre de GUEZ DE BALZAC fut publiée dans ses Œuvres en 1665 (Paris, L. Billaine, t. I, p. 257) et reprise par Gilles MÉNAGE dans ses Observations sur la langue française en 1676 (Paris, C. Barbin, t. II, chap. LXXXV, p. 367).

 

 

​     5. LA NÉOLOGISATION D’AUTRICE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES

Au cours du XVIIIe siècle, alors que la professionnalisation du statut d’auteur suit son cours, les occurrences d’autrice se raréfient. Le terme continue cependant à être utilisé dans la presse, notamment dans les périodiques rendant compte d’une production littéraire féminine en pleine expansion. Mais ce sont surtout les rénovateurs de la langue qui vont relancer le débat sur les féminins dans la France pré-révolutionnaire, et en particulier Rétif de La Bretonne. Son emploi d’autrice s’intègre dans un vaste programme de réforme de la langue, qui "la rendra analogue et régulière, comme l’italien, le latin et le grec", avec une "ortografe facile et parlante", dont il appelle à "corriger la non-analogie" (Monsieur Nicolas, 1797) : bref une langue proche du peuple, accessible, et où les féminins retrouvent leur place. Les trois désignations, famme auteur, autrice et auteuse, auxquels il recourt répondent ainsi à la règle qu’il s’est fixée : "écrire les mots de trois fasons : ordinaire, moyenne et à réforme entière" (Mes Inscripcion, 21 sep. 1785). Car si autrice est désormais promu, c’est en tant que néologisme : vidés de leur légitimité historique après un siècle d’éradication, de nombreux féminins – citons aussi amatrice – sont l’occasion pour ces auteurs de se poser en novateurs. Promoteurs d’une langue égalitaire et démocratisée, ils s’opposent à la langue dominante, celle de l’aristocratie, injuste et élitiste, élaborée dans le cénacle de l’Académie française et qui a fini par valider le fameux femme auteur. C’est d’ailleurs un ami de Rétif, Louis- Sébastien Mercier, qui, reprenant en partie son projet non abouti du Glossographe, va intégrer autrice dans son dictionnaire de Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux à renouveler ou pris dans des acceptations nouvelles (1801). À l’inverse, la même année, un autre auteur de la Révolution, Sylvain Maréchal, dans son Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes, sous-entend que l’aspect choquant du masculin auteur pour parler d’une femme tient au fait qu’il est contre-nature pour elle d’écrire et d’exercer le métier d’écrivaine. Le lien entre discrimination terminologique et discrimination sociale commence désormais à se dire. Pour la première fois, dans les deux camps, la place des femmes dans la société et les choix pour les nommer sont mis en rapport.

Dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, le débat s’est donc s’intensifié, quittant les cercles savants pour se démocratiser en prenant place dans les périodiques, nouvelle tribune publique où lecteurs et lectrices s’interrogent, s’opposent ou se confortent sur l’emploi des féminins. Le débat sur la féminisation est aussi l’occasion de s’opposer à ce corps du savoir officiel qu’est l’Académie6. Cette évolution se confirme au cours du XIXe siècle alors que les "solutions linguistiques" pour désigner la femme qui écrit se multiplient7. Bien que les dictionnaires de français se contentent désormais de statuer sur l’emploi épicène d’auteur, du côté des grammairiens et des esthètes de la langue, la proscription d’autrice ne fait plus l’unanimité8. En outre, la querelle étant désormais frontale et portée sur l’espace public, elle se radicalise et oblige pro- et anti- à affûter leurs arguments. Surtout les écrivaines et les féministes s’invitent dans le débat. Néologisme ou barbarisme, avancée sociale ou conservatisme, autrice sera désormais au cœur de la politisation du débat autour de la féminisation.

 

 

6 Voir notamment Correspondances dramatiques, 1er juin 1777, p. 257-58 où DU COUDRAY s’oppose à la règle de l’Académie au sujet d’autrice, et LINGUET, Annales politiques, civiles et littéraires du XVIIIe siècle, 1778, p. 386-397, chap. « Amatrice », où la défense de ce féminin est suivie d’une longue attaque contre l’Académie française.

7 Voir PLANTÉ Christine, 1995, « La désignation des femmes écrivains », Langages de la Révolution (1770- 1815), Paris, Klincksieck, p. 409-416.

8 Pour exemple, la défense d’amatrice et autrice par CAILLOT Napoléon, 1838, Grammaire générale, philosophique et critique de la langue française, Paris, s. n., p. 285.

 

 

     6. ​DE LA LÉGITIMITÉ TERMINOLOGIQUE D’AUTRICE AUX XIXE ET XXE SIÈCLES

C’est au nom d’une langue fonctionnelle, au service de la société et du progrès social, que va désormais s’ancrer le débat sur la féminisation, et autrice va y tenir un rôle de premier plan. Des écrivaines, journalistes et militant-e-s féministes s’emparent notamment de la question pour revendiquer dans le même temps la reconnaissance et la visibilité des femmes qui accèdent aux métiers intellectuels et artistiques. Le débat avec l’Académie française s’ouvre en 1891, lorsque la romancière Marie-Louise Gagneur interpelle les Académiciens à propos de la rédaction de l’article auteur. Comme le souligne Claudie Baudino9, c’est un moment clef dans l’histoire de la langue, car pour la première fois féminisation et légitimation vont de pair. Or, comble d’ironie, c’est l’Académie française elle-même qui affirme ce lien, contre lequel elle s’acharnera un siècle plus tard… Considérant que le métier d’écrivain ne convient pas à une femme, elle en conclut qu’« écrivaine » n’a pas lieu d’être, et classe autrice et « auteuse » parmi les féminins qui "déchire[nt] absolument les oreilles".

Pourtant, du côté de l’usage, malgré les rappels à l’ordre continuels de la part des opposants à la féminisation, les emplois d’autrice se multiplient au cours du XXe siècle, en littérature, dans les revues savantes, dans la presse. Mais c’est dans les années 60 et 70 que le mouvement féministe conduit les écrivaines à reposer le lien entre féminisation et légitimation dans une vaste réflexion sur le rapport sexué au langage. Elles n’ont plus à lutter avec l’interdit d’écrire, mais avec une langue qui leur résiste. Reprenant à leur compte l’argument de la légitimité mise en avant un siècle plus tôt par l’Académie, elles posent alors de façon catégorique le rapport entre l’absence de certains féminins et le sexisme de la langue. L’enjeu d’une légitimité terminologique est notamment portée auprès du grand public par une écrivaine populaire, Benoîte Groult. Quand le débat se politise et s’inscrit dans l’agenda gouvernemental, c’est d’ailleurs sous son égide et celle d’une femme politique, Yvette Roudy, ministre des droits des femmes, que s’organise la commission de terminologie chargée de la féminisation des noms de métier et de fonction. Car désormais c’est l’intervention officielle des femmes dans la langue qui va permettre les principales avancées en matière de féminisation et entraîner, du même coup, une opposition souvent féroce, particulièrement à l’encontre de cet autrice au féminin si peu discret…

Face à ces attaques souvent virulentes, l’heure sera au compromis. Si la commission exprime d’abord, dans une circulaire jamais publiée, le souhait d’une formation analogique

« auteur/autrice », elle préconisera finalement l’emploi épicène « une auteur ». En 1998, la nouvelle commission mise en place par Lionel Jospin « ose » le féminin auteure, selon un principe de précaution qui avait déjà guidé le choix des Québecois en la matière, et malgré les autres usages en cours dans la francophonie, la Suisse et l’Afrique francophone employant quant à eux le féminin autrice. En outre, pour la première fois, la relance de ce débat sur la féminisation n’est plus le fait d’écrivaines : ce sont les femmes politiques qui, en faisant une entrée massive dans les instances exécutives et législatives, s’emparent de la question. La polémique sera d’autant plus violente, et l’Académie Française opposera un arsenal d’arguments, notamment celui de la différenciation entre métiers et fonctions, qui vise surtout à éradiquer les féminins désignant des femmes politiques. Dans ce contexte, la question d’autrice passe au second plan, y compris du côté des pro-féminisation, qui mettent surtout en avant les féminins liés à cette visibilité politique. La promotion du terme autrice en octobre

 

(9) À propos des débats sur la féminisation aux XIXe et XXe siècles, nous renvoyons à cet ouvrage de référence : BAUDINO Claudie, 2001, Politique de la langue et différence sexuelle (La politisation du genre des noms de métier), Paris, L’Harmattan.

 

1999 revient d’ailleurs à une ministre, Ségolène Royal, qui l’emploie dans le journal Elle pour se révolter contre l’absence des femmes dans l’histoire littéraire enseignée aux élèves. La politisation du débat permet ainsi de replacer les enjeux de la féminisation à un niveau collectif et civique : la revendication à être nommée dans son métier d’écrivaine devient désormais l’enjeu d’une légitimité culturelle pour l’ensemble des citoyennes, et celle-ci passe avant tout par l’éducation.

 

     7. ET AUJOURD’HUI ? RETOUR À L’USAGE !

Si la réhabilitation d’autrice ne fait plus partie du calendrier gouvernemental, son retour dans l’usage est en revanche manifeste. Près de quatre siècles après le dictionnaire de Cotgrave, il fait sa réapparition dans les dictionnaires de français : en 1996, le Petit Robert précise à l’article auteur qu’"il existe un féminin, autrice", et dans son édition de 2003, une entrée lui est même consacrée10. Disparaissent dans le même temps les citations péjoratives sur les féminins d’auteur, tandis que le renvoi à l’étymologie latine auctrix lui confère toute sa légitimité. En 2004, le dictionnaire Hachette l’intègre à son tour, tandis que l’O.D.S (L’Officiel du Jeu Scrabble) officialise le terme autrice dans sa nouvelle édition… Mais c’est surtout du côté des revues, des ouvrages scientifiques, des blogs internet, des "courriers des lecteurs" que fleurissent les occurrences, car comme au XVIIIe siècle, les usagers de la langue, sans se soucier de l’agenda politique ou des règles académiciennes, s’invitent au débat et s’emparent de ce féminin. Peut-être le XXIe siècle écrit-il ici le dernier chapitre de cette guerre à autrice, en rendant enfin à ce mot "ses lettres de naturalité"11…

La mise à jour de l’histoire de ce féminin permet en effet de démonter un certain nombre d’arguments avancés par les opposants à la féminisation, et pointe les multiples contradictions et omissions de l’Académie française, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Non seulement autrice n’est pas un néologisme, mais il puise même sa légitimité terminologique dans une histoire aussi longue que passionnante12. Contrairement à ce qui a été avancé dans les Histoires de la langue, son emploi péjoratif est extrêmement limité et le fait le plus souvent des opposants à la féminisation. Il est encore moins l’engouement d’une élite qui voudrait imposer son usage de la langue : l’histoire prouve au contraire qu’il fait retour dans le débat public à chaque période de démocratisation et d’avancée dans l’égalité des sexes. Enfin et surtout, ce féminin, loin d’avoir une connotation essentialiste qui enfermerait les femmes dans une littérature dite féminine, porte la marque d’une intervention politique de celles-ci dans la langue et a désigné bon nombre de pionnières qui se sont risquées dans des métiers de l’écrit jusqu’alors fermés aux femmes, comme le théâtre, la rhétorique, le journalisme, la lexicographie, etc. Pour conclure, l’histoire du féminin autrice illustre la nécessité de redonner une "épaisseur historique"13 au débat sur la féminisation, afin, comme vient nous le rappeler l’un de ses défenseurs, Alain Rey, de se réapproprier "une langue bien vivante, que l'on peut d'autant mieux défendre que l'on connaît son histoire"14.

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

10 Rappelons au passage que ce dictionnaire a été dirigé par un couple, Josette REY-DEBOVE et Alain REY, qu’ils ont été membres de plusieurs commissions sur la féminisation, et qu’Alain REY a lui-même utilisé autrice dans sa biographie de Paul-Émile Littré en 1970.

11 Expression utilisée en 1778 dans les Annales politiques, civiles et littéraires du XVIIIe siècle, pour promouvoir l’emploi d’amatrice, voir note 5.

12 Et qui rend caduque l’idée même de « féminisation », comme l’évoque L.-L. LARIVIÈRE dans son introduction, voir note 2.

13 BAUDINO C., ouvr.cité, p.20.

14 REY Alain, L’Amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la langue, 2007, Paris, Denoël, présentation de l’éditeur.

 

BAUDINO Claudie, 2001, Politique de la langue et différence sexuelle (La politisation du genre des noms de métier), Paris, L’Harmattan.

CAILLOT Napoléon, 1838, Grammaire générale, philosophique et critique de la langue française, Paris, s. n., p. 285. KHAZNADAR Edwige, 2002, Le Féminin à la française, Paris, L’Harmattan.

LARIVIÈRE Louise-L., 2000, Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique, ou à la recherche des mots perdus,

Montréal, Boréal

PLANTÉ Christine, 1995, « La désignation des femmes écrivains », Langages de la Révolution (1770-1815), Paris, Klincksieck, p. 409-416.

REY Alain, L’Amour du français : contre les puristes et autres censeurs de la langue, 2007, Paris, Denoël.

ŠTICHAUER Jaroslav, « Amatrice, autrice, cantateur (le discours sur les féminins en –trice aux XVIIe et XVIIIe siècles) »,

Écho des études romanes, vol. 1, n°1, p.7 (en ligne : http://www.pf.jcu.cz/veda/eer-i1.php).

Histoire d'autrice, del'époque latin à nos jours
Quelques retours sur la soirée de reprise dela Plateforme nationale du 14/12/21

Retours sur la soirée de reprise de la  Plateforme nationale (14/12/21)

Place de la Femme

Quelle richesse cette rencontre, dans nos âges, nos genres, nos territoires, nos métiers, nos histoires passées à la construction du monde futur. Cette diversité au service de la même cause est une source inspirante et socle d'actions concrètes.

Pour ma part, j'ai écouté et observé avec délectation. Le collectif permet d'influer sur la force du changement. Pourtant, à la réunion, nous sommes loin, sur une île paradisiaque pour ces paysages mais terriblement impactée par son passé colonialiste et des difficultés sociales bien actuelles : illettrisme, chômage, violence intrafamiliale... J'ai travaillé sur un projet théâtral sur l'inceste il y deux ans, les chiffres (connus) sont effrayants. Je sens tout de même une grande volonté de changement, de reprise de confiance et de défense de sa culture. J'essaie de travailler avec les compagnies émergentes, des jeunes artistes, particulièrement la Cie Aberash, qui défend la théorie du genre incluant l'histoire même du territoire. Dans la commune des hauts où je travaille, le rôle de la femme et de l'homme reste traditionnel dans tout ce qu'elle comporte de négatif, des cases données dès le plus jeune âge (Les petites filles sont sexualisées très vite dès le primaire). J'essaie d'observer et de respecter les traditions, de comprendre, d'avoir un discours bienveillant et personnel tout en apportant très subtilement une programmation Jeune public décalée sur ces questions-là, par l'achat de livres également installés en médiathèque et via le médiabus qui voguent joliment chaque jour vers toutes les écoles. Je crois aussi que l'artiste est le médium essentiel au changement, pour moi il est la clé communicationnelle entre l'adulte et l'enfant, c'est celui qui transpose le langage sociétal en poésie et la poésie est le langage des enfants ou doit l'être en tous cas, il permet l'accès à l'imaginaire, cet endroit où l'on est bien, cet endroit où l'on rêve, cet endroit qui doit garder sa place toujours au fond de nous même quand on grandit ... si la poésie et l'imaginaire restent actionnées, l'esprit s'ouvre, il réfléchit, il comprend, il parle et dialogue, et change les choses. Je crois que les adultes ne savent pas toujours communiquer avec les enfants, ils jugent, ils s’imposent, ils ont peur... l'artiste est là pour renouer le lien.

Émilie Magnant

Tout d'abord merci, pour ton invitation plateforme, elle était riche même si je n'ai pas souhaité intervenir, parfois on apprend mieux en écoutant les autres parler.

J'ai trouvé le texte de récolte très universel, et ça m'a vite ramené en Afrique : toutes ces questions d'éducation, d'émancipation, le mariage forcé, la femme doit rester à la maison faire le ménage et les gosses pas plus et pas le droit de danser non plus ... 

 

Et puis la question du féminisme, est-ce que les hommes le sont ? Je crois que oui, je le suis, et surtout chaque homme à une part de féminité en lui.

Le jour où notre fond macho se rendra compte de son côté féminin, peut-être que le monde ira encore mieux, enfin je pense.

Sthyk Balossa

 

 

J’ai été très heureuse d’entendre des collègues qui travaillent sur ces questions. Personnellement j’aborde la question du genre, la place de la femme mais aussi la question du consentement, du patriarcat dans certaines de mes créations et ça m’a fait beaucoup de bien de voir qu’il y avait une communauté.

« La prise de parole ça nous met en commun, ça fait de nous un peuple et c’est important. Constituer un peuple qui du coup devient un peuple militant, un peuple actif’ Adèle Haenel dans une interview à Médiapart.
 

Par ailleurs, j’ai été touchée par ce débat sur le mot « féminisme » qui exclurait les hommes.

-N’est-ce pas « féminin » de ne pas vouloir revendiquer un combat, une lutte qui seraient, de fait, agressifs

-N’est-ce pas une posture attendue d’une femme que de vouloir inclure l’homme, ne pas le dénigrer ?

 

Je crois que ce n’est pas à nous, femmes, de tempérer notre vocabulaire mais aux hommes de s’emparer de ce mot avec nous. J’en connais qui sont courageux et qui le font, qui se revendiquent féministes.

Un mot signifie, je pense que ce mot est juste pour parler d’une domination d’un sexe sur un autre même de façon inconsciente.

Merci pour ce rendez-vous, cet espace de parole et de partage.

Emilie Esquerré

 

Ce moment de réflexion collective en petit groupe, même si à distance, était très inspirant. Les partages d'expérience, parfois contradictoires, étaient très complémentaires, de même que les réflexions - entre autres - sur la femme au foyer dans le modèle américain d'après-guerre, sur le vocable "féminisme" avec les différents points de vue évoqués, sur le sursaut conservateur des couples soixante-huitards, sur la division des classes entre filles et garçons en fonction des âges et des territoires, sur les stratégies dramaturgiques qui pourraient aider à agir sur l’image de la femme au théâtre, sur l'identification plus facile chez les filles que chez les garçons face à un personnage présenté comme étant du genre opposé, sur l’ampleur d'imaginaire face au genre, sur la projection de la liberté sur les garçons plus que sur les filles, sur le retrait progressif des filles de l’enfance à l’adolescence... Merci !

Julien Daillère

Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice : la Cour d’honneur et les Molières

image1.png

Pendant tout le festival d’Avignon, à midi, dans les jardins de la médiathèque Ceccano, David Bobée a donné rendez-vous aux festivals pour son feuilleton théâtral Mesdames, Messieurs et le reste du monde, en treize épisodes. David Bobée a proposé d’y mettre à plat les contresens, les tabous et les idées reçues sur un concept désormais utile pour repenser le droit à la non-discrimination, à la non-assignation, celui du genre. Parmi les moments forts de ce rendez-vous qui va marquer l’histoire du Festival d’Avignon, il y a ce texte de Carole Thibaut, directrice du centre dramatique national de Montluçon, le Théâtre des Îlets lu lors de la fausse cérémonie des Molières, c’était le 13 juillet. Un texte dont voici l’intégralité.

Stéphane Capron / Sceneweb

“Je vous remercie pour ce Molière. Probablement le seul Molière que je recevrai jamais. Ce n’est pas une question de talent, il n’est pas question ici de talent. Je suis désolée. J’avais commencé à écrire un truc rigolo. Un de ces trucs pour lesquels on fait appel à moi de temps en temps.

Oh tiens si on invitait Thibaut. Elle est rigolote Thibaut. C’est une excitée rigolote. Elle nous casse bien un peu les coucougnettes avec ses histoires d’égalité femmes-hommes, mais elle est rigolote. Elle pique des gueulantes rigolotes, bien brossées. Et puis elle met des jolies robes. Elle porte bien. Elle fait désordre policé. On devient vite le clown de service. Le bouffon du roi. Et ici le roi, comme ailleurs, c’est la domination masculine. Il a beau faire GENRE, le roi, il est et reste la domination masculine. Et moi j’en ai ma claque d’être la bouffonne de service de la domination masculine. Il y a deux ans, ici même, Thomas m’avait invitée à écrire et dire un texte sur l’absence des autrices, des auteurs femmes, donc, dans le festival d’Avignon depuis sa création. Plus précisément dans la Cour. La grande cour du théâtre. La cour d’honneur. La Cour d’honneur c’est comme les Molière. Quand tu es une femme artiste, une de ces femmes qui a la prétention d’être de ce côté-là de la création, je veux dire autrice, metteuse en scène, conceptrice d’œuvres, quand tu es une de ces bonnes femmes qui a cette prétention-là, tu sais que tout ça n’est pas pour toi.

Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice : la Cour d’honneur et les Molière ne sont pas pour toi. Ou alors tente le jeune public. Le jeune public ici c’est un endroit réservé aux bonnes femmes créatrices. Il y a deux ans, donc, j’étais ici même en train de déblatérer un texte sur la quasi absence des autrices dans le festival In, à l’invitation de Thomas.

Cette année, deux ans après, Thomas joue dans la cour d’honneur, et moi je suis de nouveau ici, invitée cette fois par David, en train de déblatérer devant vous un autre texte censé être rigolo et bien enlevé sur la situation des femmes artistes-créatrices. Il y a deux ans, j’avais encore l’espoir que ça change, puisqu’on en parlait, ici, dans le cadre du festival In justement, de la non représentation scandaleuse des femmes dans ce festival depuis sa création.

Il y a deux ans j’avais mis une belle robe et j’avais donc pondu un truc bien brossé, enlevé, rigolo, à la façon Thibaut rigolote. Et tout le monde avait bien ri. Et puis chacune et chacun était reparti à ses petites affaires après notre grande fête estivale du théâtre. Cette année, deux ans après donc, la programmation du festival IN, hors jeune public, présente 9% d’autrices femmes pour 91% d’auteurs hommes. (Pour les deux spectacles jeune public elles représentent 75%.) Cette année, deux ans après, la programmation “théâtre” représente 89,4% d’artistes créateurs hommes (auteurs et metteurs en scène) pour 10,6% d’artistes créatrices femmes. Cette année, deux ans après, sur la totalité des spectacles et expo programmées dans le festival IN, on recense 25,4 % d’artistes créatrices femmes. Et encore on peut remercier la SACD qui exige dans les Sujet à vif la parité. Sans ces petites formes performatives de 30mn chaque, il ne faut rien exagérer non plus, on ne serait même pas à 20% d’artistes créatrices femmes programmées. Je parle des spectacles, pas des lectures. Il suffit d’ouvrir le programme et de compter. C’est ce que j’ai fait l’autre matin. 1 fois. 2 fois. 3 fois. Pour être bien sûre. Parce que je n’arrivais pas à y croire. Et puis après je me suis mise à pleurer. Moi la grande gueule rigolote je me suis mise à pleurer comme une conne. On a beau être habituée, on a beau connaître tous les pièges, tous les cynismes, tous les détours de l’humiliation, être blindée, après tant et tant d’années de ça, il y a des fois où ça craque malgré tout. Mais franchement pleurer devant un programme du IN, c’est la honte. C’est minable même, à l’heure où peut-être un nouveau bateau rempli à ras bord de femmes, d’enfants, d’hommes, de vieillards, sombrait en méditerranée, et avec lui tous ces êtres qui s’en allaient ainsi par le fond nourrir les poissons, nous épargnant d’avoir à partager avec eux nos richesses dégoulinantes de paradis de la consommation. Bref. C’est pas le sujet. Ici nous sommes dans la grande fête du théâtre. Et je viens de recevoir un gros pavé. Il faut sourire, mettre des belles robes, être joyeux, légers et quelque peu potaches. Mais cette année, je suis désolée David, je n’ai pas envie de faire la bouffonne de service, en polissant ma colère brossée rigolote dans une joyeuse fête sur le genre, dans un festival, que certains journalistes, qui auraient mieux fait de faire leur travail de journalistes, ont qualifié de festival féministe. Cette année, j’en ai ma claque d’être la copine sympa de tous les copains sympas, les copains qui ont plein de copines femmes, les copains qui interrogent le genre, qui interrogent tout ce qu’on voudra, pendant que rien ne change. J’en ai ma claque de voir une majorité de femmes muettes, privées de paroles, venir s’assoir dans l’obscurité des salles pour recevoir là bien sagement la parole des hommes, la vision du monde portée par des hommes, dessinée par des hommes, en majorité blanc, en plus. D’accord pour l’intersectionnalité des luttes. D’accord pour lutter contre toutes les injustices, contre toutes les discriminations, contre la binarité si stupide et pathétique qui gouverne notre monde contemporain si moderne, comme il gouvernait l’ancien. Mais comment se fait-il que toute lutte semble écraser et annihiler la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes? Comment se fait-il que cette lutte-là soit systématiquement écartée, remplacée par une autre lutte ? Les femmes se sont fait niquer à la révolution française. Elles se sont fait niquer durant la Commune. Elles se sont fait niquer durant le Front Populaire. Elles se sont fait niquer en 68. Et elles se font encore niquer au festival d’Avignon 2018, ce grand festival dont le thème revendiqué cette année est … le genre, et dont une des seules rencontres thématiques programmées qui aborde le sujet s’intitule « les femmes dans le spectacle vivant, doit-on craindre le grand remplacement ? » Je n’épiloguerai pas sur le concept de grand remplacement, concept xénophobe développé actuellement par l’extrême droite. C’est p. 27 du programme si vous voulez vérifier. Et si vous voulez y aller pour protester ça tombe bien c’est aujourd’hui même à 14h30 aux ateliers de la pensée. Et c’est comme ça qu’on se fait niquer, depuis de siècles, des décennies, des années, des mois. Ce n’est pas seulement sociétal, politique. Ça s’inscrit dans nos chairs, dans les recoins les plus obscurs de nos cerveaux, dans nos inconscients, nos subconscients. Cela gangrène toutes nos vies. Ce ne sont pas que des chiffres et des statistiques. Et pourtant ceux-là il faut les faire, les analyser, pour regarder bien en face notre humiliation, pour regarder bien en face le système qui nous exclue, au grand jour, aux yeux de tous, sans que personne n’y trouve à redire. Il faut les analyser, ces chiffres, pour avoir une grille de lecture précise du réel, pour comprendre ce qui se passe réellement. Quitte à se mettre à pleurer alors comme une conne, comme une pauvre fille qui y a cru cette fois, au grand amour, à la rencontre possible, et qui se retrouve au matin toute seule, après s’être fait niquer encore une fois. Bon, on ne va pas jeter la pierre, ou plutôt le pavé, à Olivier. Où qu’il soit aujourd’hui, il doit déjà bouillir sur sa chaise. Et vue la chaleur qu’il fait… Il y a eu bien assez des curés qui ont fait cramer des femmes à cause de leurs vagins, on ne va pas se mettre à faire bouillir des artistes directeurs de festival à cause de leur programmation, simplement parce qu’ils sont un peu en dessous de la moyenne nationale. Parce que dans la totalité du spectacle vivant aujourd’hui en France, 23% seulement des subventions publiques d’état vont à des projets portés par des artistes femmes, parce que qu’elles ne représentent que 11% des spectacles programmés sur toutes les scènes et parce qu’elles ne reçoivent que 4 à 12% des pavés, pardon des récompenses. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’état lui-même, le haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais, après tout, sur les « scènes de l’institution » comme on dit, la part des autrices représente environ 22% et celle des metteuses en scène 35%. C’est loin d’être l’égalité, c’est sûr, mais bon on y travaille. Mais pas ici. Du moins pas encore, apparemment. Oui, cette année le IN fait Genre. Parce qu’on peut revendiquer haut et fort la liberté d’être à loisir homme, femme, ou les deux mélangés, il n’en demeure pas moins que quand tu nais avec un sexe de femme, ou quand tu deviens femme, que ce soit par le grand tirage au sort de la nature – ah zut pas de chance t’es née avec un vagin – ou par choix, tu fais partie de la caste de celles qui se font baiser, niquer, nier toute leur vie. Parce qu’avant d’être un genre, la sexuation est un déterminisme physiologique, totalement arbitraire, qui, selon que tu reçois un vagin ou une bite à ta naissance, te prédétermine comme sujet dominant ou dominé. Parce que le phallocentrisme et le patriarcat sont les petits rois qui continuent à gouverner ce pays, et particulièrement ce petit milieu cultivé, si fier de son ouverture d’esprit, si fier de sa soit-disant liberté de création, d’expression, de choix, si fier de ses prérogatives, si donneur de leçon au monde entier. Le phallocentrisme et la domination masculine sont la honte de tout le milieu intellectuel, artistique et culturel de ce pays. Ils sont la honte de chaque artiste de ce pays et d’ailleurs. De chaque institution qui ne respecte pas une juste redistribution de l’argent public. De chaque directeur de lieu, de galerie, de festival, qui ne fait que représenter et reproduire à l’infini la pensée dominante. L’écrasement des femmes par les hommes est le premier crime contre la pensée humaine. Il produit des millions de meurtres chaque année. C’est un crime qui se perpétue depuis des millénaires, qui se poursuit partout et trouve ses racines malheureusement ici aussi, sur ces espaces sacrés du théâtre qui devraient être au contraire les lieux sacrés de la parole libre et émancipatrice. Je ne veux pas de ta récompense, David. C’est comme un gros pavé reçu en pleine gueule. Et hors les chiffres, désormais, sachez-le, nous ne croirons plus rien. Pour ne plus subir la honte de pleurer encore. ” Carole Thibaut – 13 juillet 2018

Mets-toi bien ça dans le crâne, petite bonne femme créatrice

Témoignage : C'est pas la Suisse, c'est pas la Russie, c'est moi.

image2.jpeg

Dans mes périples des dernières semaines, j'ai eu la chance de passer une journée de travail à l'AM STRAM GRAM théâtre de Genève.

La chance, aussi, de jouer pour le Festival International de Théâtre pour la jeunesse de Rostov on Don, en Russie.

Je n'ai pas assez de mètres de couturière pour mesurer le fossé, le gouffre, digne d'un décor du Seigneur des anneaux pour mesurer tout ce qui sépare mon quotidien dans le jeune public de ces lieux là.

Tout ceux que j'ai rencontré, tous ceux avec qui j'ai parlé même si mon anglais n'est pas au top, tout le monde est convaincu du bien fondé des démarches théâtrales, de leurs exigences, des prix à payer, de la poésie qui doit engager et s'engager. Ce n'est pas un pays tout entier mais c'est déjà une somme de gens qui sont là juste pour ça .. Pour moi, c'est comme visiter un autre temps. Une époque, voir une planète inconnue.

Ici, au milieu du Béarn, des maïs et des lotos, tout le monde s'en fout. Clairement. L'exigence théâtrale n'a même pas lieu d'être. Vous les artistes, faîtes nous donc marrer. J'en reviens à mon premier post, ma première contribution : alors, t'as pas un petit spectacle pour Noël ? Non, je n'ai pas ça. Je ne veux pas faire ça.

Ici, on attends, les fêtes du village annuelles, avec impatience. Moi, j'attends le bouquin que j'ai commandé, faute d'avoir une librairie, ou une médiathèque à moins de 200km qui me propose ce que je cherche.

Qu'il est grand ce fossé, qu'il est immense. !

Elle est où, la réflexion, ? Il est où le pouvoir de l'imagination ? Il est où l'accès à la culture et à laquelle ? Oui, je parle de là où je suis, depuis 10 ans, à écumer des salles des fêtes, des champs, des discussions de comptoir, parce que :

« non, vous ne pouvez pas brancher un projecteur chez moi, pour éclairer chez lui. Il me laisse pas utiliser le devant de son garage pour les fêtes de village, alors, hors de question » mais .. ça joue dans 3 jours, je le prends où le jus ?

Fatiguée moi ? Peut être. Mais surtout, comment on fait ? Il est où le pont pour qu'enfin je n'ai pas honte de facturer mon travail ? Jeune public ou pas, femme ou pas femme, c'est la culture qui est en jeu là. Si on ne dit pas aux enfants que c'est un « vrai » métier, ça va continuer longtemps comme ça ? L'artisan qui fait la terrasse de Monsieur, ou qui vient refaire la plomberie de untel, personne ne tique quand il présente la facture, c'est normal, c'est un sacré boulot. Et le nôtre de boulot, dans tout ça ?

Un local ? Pensez donc ! Le comité des fêtes en a plus besoin que vous. Ils sont légitimes. Eux.

Oui suis un peu en colère, contre moi même surtout. Les fêtes de village, c'est super. Mais y'a pas que ça. Si ?

En colère contre moi, parce que certainement, je me dois d'être plus exigeante avec moi même et arrêtez de faire des concessions pour essayer de promouvoir quelque chose comme Liberté, Egalité, Fraternité. Ces mots là, eux ne font pas de concession. Sont ils respectés ? Ils sont inscrits dans la pierre de chaque commune, normalement. Mais le monde est vaste et c'est loin d'être partout pareil. Alors on en revient à une des question fondamentale, quand on est comme moi, comme ma compagnie, des petits, des obscurs, comment qu'on fait pour devenir grand ? Pour qu'on nous voit ?

Avec toute l'exigence du monde, que c'est difficile ! Je ne tape pas du poing sur la table, d'autres l'ont fait mieux que moi et avec moins de naïveté et un peu plus de visibilité.

C'est quoi être entendu ? C'est quoi pouvoir montrer ? Quand à qui, comment dans quels contextes ?

Les problématiques engendrées par le questionnement sur le jeune public se reflètent dans les problématiques que l'on a de faire exister notre travail. Femme, enfant, ou homme, il faut juste avoir conscience que ce qui nous apparaît (collectif, lecteurs occasionnels) comme un sujet sur lequel débattre, n'est même pas un embryon d'idée dans certains endroits. Théâtre est parfois un gros mot. Trop gros pour être valable. Jeune public, quelle idée ! C'est des gosses, Chantal Goya ou Fabrice Melquiot ? Même combat.

Bon, j'ai pas de solution, non plus. Juste la volonté d'y croire, encore. Toujours.

Un peu jeune encore. Pas assez de métier, sans doute. Pas encore, mais je ne demande que ça.

Ça ressemble à un billet d'humeur, certes. Mais quand on construit un pont sans le matos adapté et ben, c'est plus compliqué. Et deux bras ne suffisent pas. Et le terrain, n'est pas toujours favorable. Les voisins, non plus.

Il y en a quelqu'uns quand même qui écoutent, qui entendent parfois, qui font aussi, mais quelle montagne à gravir ! chaque fois, pour convaincre, pour dire, si il y a de la poésie possible, là et là, de la matière à réflexion. Aller vers l'autre. Les brèches sont toutes petites. Faut savoir y entrer. Faut savoir, être contorsionniste. Sauf que j'ai pas fait cirque en option. Et je regrette, un peu.

Alors, je continue, en réfléchissant aux gens, aux moyens de faire autrement, si vous avez la recette de la potion magique, je prends.

Je ne m'attends pas à ce que le pays des licornes, des pâquerettes en toutes saisons, et des bras ouverts apparaisse. Encore que.

Céline

Témoignage : C'est pas la Suisse, c'est pas la Russie, c'est moi.

Témoignage : Un enfant. Fille ou garçon ?

Un enfant.

Fille ou garçon ?

Si on consulte le Petit Robert, on y trouve la définition suivante : « Être humain dans les premières années de sa vie, de la naissance à l'adolescence. »

Il n'est donc pas question de genre, un enfant peut être indifféremment un garçon ou une fille.

C'est, par exemple, ainsi que je voyais les choses lorsque j'ai écrit « Les mots-cailloux » avec un enfant comme personnage principal.

Il pouvait être fille ou garçon. Et c'est entre autre pour cela que je ne lui ai pas donné de prénom.

Mais après l'auteur, il y a le metteur en scène, qui fait ses choix, et notamment du comédien, ou de la comédienne.

Ainsi, pour le metteur en scène, l'enfant des « mots-cailloux » est nécessairement un garçon parce qu'il jette des cailloux sur les fenêtres d'une vieille dame. Une fille ne ferait jamais ça !

Ce qui signifie qu'au-delà d'un substantif non genré, les représentations socio-culturelles peuvent venir définir plus sûrement encore que la grammaire le genre d'un personnage à partir de son comportement, de son langage, de son apparence...

Pour illustrer ce point, je citerai une autre pièce, « Jérémy Fischer » mise en scène par la compagnie Le bruit des ombres. J'ai assisté à une représentation et suis sorti très ému par la beauté et la force du spectacle. Dans cette pièce, l'auteur a bien décidé du sexe de son personnage : on parle de la naissance d'un fils et il se nomme Jérémy.

Les choses sont claires.

Sauf que...

Jérémy est joué par une comédienne et, pour moi, ce personnage a perdu son sexe. Il n'était plus garçon. Ni fille. Il était cet être différent, mi-être humain mi-poisson.

Et dans cette histoire, c'est bien ce qui importe.

Ainsi, quelle que soit l'intention initiale de l'auteur, les choix de mise en scène et le regard du spectateur, les représentations socio-culturelles des uns et des autres peuvent venir infirmer ou confirmer le sexe d'un personnage, même non genré par l'utilisation d'un substantif neutre.

Bien sûr, cela est possible aussi parce que le neutre est un genre oublié de la langue française, comme pour la plupart des langues issues du latin.

Je ne rentrerai pas dans la polémique que peut soulever la définition du neutre proposée par l'Académie Française :

« L'une des contraintes propres à la langue française est qu'elle n'a que deux genres : pour désigner les qualités communes aux deux sexes, il a donc fallu qu'à l'un des deux genres soit conférée une valeur générique afin qu'il puisse neutraliser la différence entre les deux sexes. L'héritage latin a opté pour le masculin. »

Je laisse le soin, à celles et ceux qui sont intéressé-e-s par le débat sur le masculin absorbant le neutre, réalimenté après les déclarations de Jean-Michel Blanquer, actuel ministre de l'Éducation nationale, de lire l'excellent article de Lucy MICHEL, de l'Université de Bourgogne, intitulé « genre grammatical et dénomination de la personne » dont je note le lien ci-dessous.

http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/le-neutre-dune-langue-sans-neutre/

Pour ma part, je conclus par un appel à tous : lorsque nous souhaitons absolument éviter de marquer le sexe d'un personnage, allons jusqu'au bout et utilisons les caractéristiques propres à l'androgyne.

Peupler nos textes et nos plateaux d'androgynes pourraient être un joyeux défi pour brouiller les représentations socio-culturelles et ne plus caractériser les comportements entre êtres humains par leur sexe.

Willerval.

Un enfant. Fille ou garçon ?

Les Assises de la transmission du théâtre par le prisme des femmes.

Le 23 Novembre prochain à l’ENSATT, nous organisons avec HF ARA

Les Assises de la transmission du théâtre par le prisme des femmes. Cet événement peut sans doute vous intéresser.

Toutes les infos sont là, programme et inscriptions :

Le programme et les inscriptions pour les Assises de la transmission du théâtre et de l'égalité femmes hommes sont disponibles.

Vous êtes bienvenu.es à cette journée pour travailler à l'égalité dans nos écoles de théâtre:

Inscriptions: https://www.billetweb.fr/assises-de-la-transmission-du-theatre-par-le-prisme-des-femmes

Programme visible ici: https://www.hebergeur-image.com/upload/109.212.23.247-5db87c27e5e1e.jpg

image3.jpeg
Les Assises de la transmission du théâtre par le prisme des femmes.

Témoignage : "La femme" n'existe pas...

Bonjour,

je vais faire la chienne de garde mais "la femme" n'existe pas. En fait elles sont plusieurs et extrêmement diverses et je sais que bien souvent on entend parler de la journée de "la femme", par exemple, mais, et particulièrement pour nous pour qui les mots sont notre métier, je crois qu'on gagnerait toutes et tous à diversaliser (pour reprendre le très beau mot créé par Edouard Glissant) les mots qui sont justement essentialisés par les tenants du vieil ordre patriarcal.

Amour et féminisme <3

Pivo

collectif CRS

samuelpivo.tumblr.com

"La femme" n'existe pas...

Témoignage : La place de chacun et de chacune...

Bonjour à tous,

Je suis Céline, j'ai 35 ans, je suis comédienne, metteur en scène et parfois aussi, autrice.

Je m'interroge, et souhaite faire part de mes réflexions sur cette place de la femme dans le théâtre jeune public.

Et je définirai d'abord, avant la place de la femme, ce que j'entends dans théâtre jeune public.

Cette réflexion vient de loin pour moi, elle met en lumière aujourd'hui, la place que je veux trouver en réalité, elle me pose la question du pourquoi j'ai choisi ce métier finalement: Pour transmettre.

Quand j'écris, quand je joue, quand je met en scène, je me demande toujours ce qu'il va rester, qu'est ce que j'ai dit sur ce plateau qui va résonner chez l'autre? Jeune ou moins jeune. J'ai tendance à penser que le théâtre "jeune public" n'existe pas. Le théâtre, pour moi, doit posséder cette qualité essentielle d'être entendu par tous avec des degrés de lecture différents suivant les années accumulées. Le parent, le grand -parent, l'éducateur, l'instit, doit lui aussi trouver sa place dans ce théâtre dit "jeune public". A partir de là, l'échange est possible, la rencontre est palpable

Qu'est ce que tu as vu, entendu ?

Qu'est ce que j'ai vu, qu'ai - je entendu ?

La discussion enclenchée peut alors muter en réflexions plus grandes sur nos capacités de communication entre humains. Quels que soient nos âges.

et quels que soient nos sexes.

En tant que parent, je me pose souvent la question de ce que la cantine met dans l'assiette de mes filles, en tant que comédienne ou metteur en scène, c'est mon devoir de me demander ce que je mets sur le plateau pour les autres.

La femme, le théâtre.. et bien depuis quelques années, je me rends compte que je n'y faisais presque pas attention, avant d'avoir vu un spectacle "Veillée douce" joué par deux hommes typés bûcherons, un spectacle à partir de 9 mois. Une merveille pour les petites oreilles et petits yeux présents. Et pour moi. Et la discussion qui a suivi, par des accompagnatrices (il n'y avait pas d'homme accompagnant les maternelles et crèches) "c'est étonnant ces deux gaillards qui disent des poèmes et font de la musique"

Et pourquoi cela ? Pourquoi étonnant ? Sans doute parce que c'est à la "maman" de raconter les histoires. Cette "image" là est tellement présente, ancrée, qu'il est difficile de s'en dépatouiller. Comme le dit Willerval dans sa contribution, cela vient de notre propre enfance, de la société qui nous a laissé cette empreinte. Et comme tout se joue ou presque dans cette enfance là, on ne peut pas ne pas y faire attention.

Et forcément, les personnages de théâtre féminins traduisent aussi cet état de fait. L'imaginaire collectif ressasse Les princesses, les sorcières, les petites filles fragiles perdues dans la forêt, mais heureusement les autrices et auteurs contemporains, les femmes et les hommes de théâtre donnent la parole à la vraie vie, aux questionnements que nous avons eu, et avons encore.

Je travaille beaucoup en milieu rural. Au travers d'ateliers de pratiques amateurs, et de projets participatifs inter générationnels sur le territoire où ma compagnie a choisi de s'établir. (en l'occurrence le 64-Béarn)

Mes collègues et moi, nous employons à faire vivre des textes contemporains en particulier en atelier hebdomadaire, où la parole donnée aux enfants, aux adolescents, doit être une ouverture, une source de réflexions sur le monde dans lequel ils vivent.

Et nous entendons régulièrement, les parents, les élus, etc ...

- C'est un peu dur comme texte pour des enfants non ? ça parle de la guerre / ça parle du mensonge / ça parle de la mort / ça parle d'amour. C'est pas de leur âge.

Ah ? Bon.

Ou encore :

- Et dis Céline, tu n'as pas un petit spectacle pour l'arbre de Noël des employés de mairie? Un truc rigolo pour les gosses tu vois ?

- Non, je n'ai pas ça.

Et quand j'écris une adaptation de Pinocchio, où le personnage de la fille aux cheveux bleu dit qu'elle a le droit de faire ce qu'elle veut de son corps et de ses cheveux, ça grince des dents dans l'assistance. Et pour ma part, c'est tant mieux.

A travers la place de la femme dans le théâtre jeune public, pour moi ce sont beaucoup d'horizons, de questionnements, qui s'ouvrent la place du théâtre, la place du jeune, la place du public, la place de la femme, La place de chacun et de chacune.

Voilà mes réflexions du matin, ma contribution du moment. Je viendrai volontiers si vous m'acceptez en juin prochain.

A bientôt

Céline

La place de chacun et de chacune...

Témoignage : "Qu'il est difficile parfois de débusquer l'intention derrière ses mots !"

Chers tous, je vous adresse mon premier post qui vaut ma participation au collectif comme membre, si vous le voulez bien. Merci à tous pour cette première rencontre autour de la place de la femme dans le théâtre jeunesse et plus particulièrement à Dominique Paquet pour cet historique de la présence féminine parmi les personnages de ce théâtre jeunesse en France (et en Belgique). Bien sûr, en tant qu'auteur, cela m'a invité à revisiter ma propre production avec ce regard. Et c'est déjà un objectif d'atteint, non ? De suite, cela m'a ramené à 2 remarques qu'une enseignante m'avait faite au cours d'un débat qui avait suivi une représentation de mes « Mots-cailloux » (L'Harmattan Jeunesse-2016). À un moment, l'un des personnages, une maîtresse d'école, prononce cette phrase : « Et je n'avais plus assez de temps, enfin je veux dire que les mamans attendaient déjà au portail. » 1ère remarque : Pourquoi une maîtresse d'école plutôt qu'un maître ? Ma réponse fut aisée : c'est juste la réalité d'aujourd'hui ; il y a bien plus d'enseignantes dans les écoles que d'enseignants. Ainsi dans l'école où je suis directeur (car je ne suis pas qu'auteur), il y a 2 enseignants et 15 enseignantes... 2ème remarque : pourquoi est-ce des mamans qui attendent au portail ? Il n'y a jamais de papas ? Ma réponse fut la même, c'est surtout les mamans qui sont au portail. Mais aujourd'hui, si je visualise les sorties de mon école, je dois bien reconnaître que je vois presque autant de visages de papas, de tontons ou de grand-pères que de mamans, tatas ou grand-mères. D'où me vient donc cette impression que forcément la sortie de l'école correspond à l'heure des mamans ? De ma propre enfance, bien sûr. Je me rends ainsi compte que ma mère n'était jamais venue me chercher à l'école, parce qu'elle travaillait et que ses horaires ne le lui permettaient pas. Et je prends soudainement conscience que j'aurais adoré que ma mère vienne me chercher à l'école, ne serait-ce que de temps en temps... Ainsi, en dépit de la réalité d'aujourd'hui et de mon propre vécu d'enfant, le manque éprouvé et refoulé impose à mon écriture que l'heure de la sortie soit l'heure des mamans ! Qu'il est difficile parfois de débusquer l'intention derrière ses mots ! Ainsi ma participation à ce collectif m'a amené à cette introspection et j'en éprouve de la joie même si j'ai libéré des émotions plutôt douloureuses car j'ai l'impression que mon écriture a gagné en liberté. En effet, si la liberté c'est le choix, pour reprendre la formule de Sartre, l'écriture n'est jamais aussi libre que lorsqu'on sait pourquoi on choisit tel mot plutôt qu'un autre. Mais que cette liberté me paraît une montagne bien longue et bien rude à gravir. Willerval

"Qu'il est difficile parfois de débusquer l'intention derrière ses mots !"
Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture Acte II : après 10 ans de constats, le temps de l’action

Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture Acte II : après 10 ans de constats, le temps de l’action

image4.png

Rapport n°2018-01-22-TRA-031 voté le 22 janvier 2018

Danielle BOUSQUET, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes Stéphane FRIMAT et Anne GRUMET, rapporteur.e.s Brigitte ARTHUR et Claire GUIRAUD, co-rapporteures

« Le plus souvent dans l’histoire, “anonyme” était une femme. » Virginia Woolf, autrice anglaise.

 

Lire le rapport ICI

 

L’affaire Weinstein et la vague de dénonciation des violences sexistes et sexuelles ont jeté une lumière crue sur les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes artistes et sur les inégalités systémiques entre les femmes et les hommes dans le domaine de la culture. Si ce secteur ne fait certainement pas exception, il n’en demeure pas moins que les récents évènements — qui faisaient suite à des polémiques récurrentes depuis plus de 5 ans (désignation de Polanski en tant que président des Césars en 2017, dénonciations contre David Hamilton en 2016, sélection sans femme du festival d’Angoulême en 2016, sélection et composition largement masculines du Jury du festival de Cannes depuis 2012, procès d’Orelsan en 2013, polémiques récurrentes autour de Bertrand Cantat, etc.) — appellent à une action déterminée pour faire reculer les violences sexistes et les inégalités entre les femmes et les hommes. Dans cette prise de conscience qui doit se poursuivre et dans les actions qui doivent en découler, le Ministère de la culture a toute sa place à prendre.

Témoignage : Interrogations...

- Je suis comédienne, j'ai 31 ans, mais je joue souvent des enfants, et en particulier des petits garçons. Dois-je me poser des questions sur ma féminité?

- Si je tombe enceinte pendant un projet long, dois-je le dire à mon/ma metteur en scène ou prétendre que j'ai simplement des ballonnements?

- Je donne des cours en banlieue parisienne, pour des collégiens. Les filles sont plus nombreuses que les garçons, mais le professeur a choisi une pièce où les rôles masculins sont trois fois plus nombreux que les rôles féminins. Que faire ?

- Je distribue finalement des rôles masculins aux filles. La petite Oumou, qui joue Tiresias, doit-elle affirmer qu'«elle est vieille» ou qu'«il est vieux»?

- Les hommes ont-ils le droit de poser des questions sur cette plateforme?

- Pourrai-je aller au Panthéon?

(Variante : Quand je serai une actrice riche et célèbre et morte, irai-je au Panthéon ? Si je suis mariée, Monsieur devra-t-il m'accompagner, ou pourrai-je être enfin tranquille?)

Je suis très heureuse de participer à ce projet, et je me suis bien amusée à écrire ces questions!

Pauline Belle est comédienne. Initiée au théâtre par Florence Lavaud, elle se forme au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris (promotion 2013) notamment auprès de Dominique Valadié. Elle travaille au théâtre, au cinéma, à la radio, en doublage : elle joue sous la direction de Philippe Minyana, Robert Cantarella, Christophe Honoré, Rodolphe Congé, Anne-Laure Liégeois,... Elle crée des spectacles avec sa compagnie, La Multinationale. Actuellement elle prépare une adaptation jeune public du Cid!

Interrogations...

Témoignage : 4 questions 

1/ Pourquoi les programmateurs jeune public sont-ils en majorité des femmes ?

2/ Corollaire : Y-a-t-il une assignation aux ouvrages de dames (s’occuper des enfants ?)

3/ Pourquoi ces refus violents, y compris féminins, quant à l’utilisation du mot autrice ?

4/ Pourquoi quand j’étais jeune actrice et que je jouais les jeunes premières, les metteurs en scène me disaient : « Tu vois le personnage….elle est bête. »

4 questions 
bottom of page