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« Les personnages féminins adultes dans le théâtre jeune public»

Transcription de la conférence de Dominique Paquet

23 mars 2018 – Le Lieu

 

Je vais vous proposer un petit moment de réflexion, d'abord historique et de parcourir de manière assez cursive l'histoire du théâtre jeune public depuis Léon Chancerel en me focalisant sur la place de la femme et des personnages féminins dans ce théâtre.

Il ne s’agit pas d’un historique des directeurs, des directrices, des metteurs en scène mais de la question des textes et des personnages, adultes pour cette première conférence, et enfants et adolescents pour la suivante.

Il est vrai que l’intitulé « Personnages féminins dans le théâtre jeune public » est fortement idéologique ; il faut l’assumer, on l’assumera !!!

 

L’hypothèse que nous posons est que les personnages féminins et leurs représentations sont dévalués a priori dans le théâtre jeune public. C’est à dire qu'ils sont présentés, comme toutes les représentations culturelles traditionnelles qui mettent en scène des femmes, dans des situations archétypales et stéréotypées, que ce soit dans la littérature-jeunesse, les albums et les romans- jeunesse.

 

Je parlerai des enquêtes qui ont été faites successivement relativement à ces corpus.

 

Je commencerai par évoquer la figure de Léon Chancerel dans les années 30, qui est un dramaturge, compagnon au Vieux Colombier de Jacques Copeau pour qui il écrivait des programmes, des adaptations, mais aussi des Noëls. Ce dernier point est important dans la carrière de Chancerel parce qu’il est chrétien, catholique de droite très investi auprès des jeunes. En choisissant de travailler avec les scouts de France, il a mis le théâtre au cœur des préoccupations et des ateliers qu'il menait avec eux. Il dirigeait des ateliers de mime, des ateliers de bâton, des ateliers de masques, de combat, de commedia dell'arte. Petit à petit, une partie de cette compagnie des scouts de France qui était passionnée, est devenue Le théâtre de l’Oncle Sébastien qui, en décembre 1934, a mis en répétition leur premier texte qui s'intitulait L'Enlèvement de Mirabelle. Nous sommes tout de suite au cœur de la problématique !

Léon Chancerel avait décidé de rompre avec une certaine forme de théâtre pour le jeune public en France (parce que ce n'était pas la même chose ni en Angleterre, ni en Europe centrale, ni en Russie puis en Union Soviétique). Il voulait rompre aussi avec les troupes d'enfants acteurs bien qu’il fût interdit depuis lle décret du 6 janvier 1864 de faire travailler des enfants acteurs et actrices, cela a continué, notamment avec le Théâtre du petit monde de Pierre Humble (1919) racheté par Roland Pilain (1931). Léon Chancerel raconte dans L’art dramatique et les enfants dans le Bulletin des comédiens Routiers, (n° 9 et 10, octobre 1933) que ces petits acteurs étaient extrêmement doués mais qu'ils avaient tous les défauts des stars ou des grands acteurs. Il parle notamment des filles dont il dit que ce sont des actrices formidables, mais « chauffées », « soufflées trop fort et trop tôt ». A l'entracte, elles se promènent en minaudant, en faisant jouer leurs jupons autour de leur petit corps en donnant des interviews. « Olympe Bradna, à l’entracte, vêtue presque comme une femme, avec un béret de feutre sur l’oreille, allait et venait dans le foyer du public, désinvolte, parlant haut, trainant à sa suite ses petits camarades moins brillants et visiblement fascinés, donnant de haut son avis sur toute chose, souriant avec grâce aux saluts qu’on lui adressait, signant des programmes avec une condescendance aimable. Longuement interviewée par un journaliste qui prenait des notes sur ses goûts, ses projets d’avenir, ses habitudes, son travail… elle répondait négligemment qu’elle avait 32 poupées, que sa préférée était une poupée « grande comme ça » donnée par le Comte d’Harcourt… » Chancerel, qui est un chrétien catholique un peu austère, travaille avec les scouts et veut rompre avec cet aspect mercantile du théâtre pour les enfants. D'autant qu’à la même époque, le théâtre de Roland Pilain, Le Théâtre du petit monde, met en scène des adaptations des films de Disney, les petits films de Disney dont les adaptations sont faites par une éditrice de chez Hachette. On y retrouve tous les personnages de Disney, Mickey et Donald etc.

 

Chancerel décide de créer le Théâtre de l'Oncle Sébastien avec des scouts qui sont d'abord amateurs puis qui deviennent professionnels en 1937. Parmi eux, il y a Olivier Hussenot qui a été une grande figure de la compagnie   Jacques Fabbri et que j'ai eu le plaisir de rencontrer. Ils travaillaient à partir de canevas et de la commedia dell'arte. Ils ont choisi le demi-masque pour caractériser les personnages. Comme ce sont des adultes qui jouent des enfants, ils ne voulaient pas infantiliser les personnages enfants ou au contraire trop les tirer vers le côté adulte. Ils ont donc opté pour des demi-masques, une composition masquée et vestimentaire totalement originale en fonction des types que chacun des acteurs avait inventés. Il y avait l’Oncle Sébastien, joué par Chancerel, une sorte d'oiseau à perruque blanche, à lunettes rondes, portant un masque jaune à petit bec. Ses neveux Pouique-le-Glouton, l’auguste aux plumes vertes et Lududu, aux cheveux rouges. Et une série de personnages masculins, notamment Sylvestre qui est un héros des champs et des bois, Piaf le cheval enchanté, Pedro la musique, Jean des Grenouilles, notamment. Nous n'avons pas grand monde chez les filles à part Adrienne, une autruche, et Mirabelle, une jeune fille qui a un nom de prune… Sur le plan onomastique, choisir le nom de Mirabelle, c’est souscrire à quelque chose qui est proche des enfants (les mirabelles sont des bonnes petites prunes sucrées qui font de délicieuses tartes,) mais en même temps, cette petite Mirabelle, dans le premier texte qu’ils improvisent à partir du canevas, va être enlevée par d’affreux brigands. La fille n'est pas forcément dévalorisée parce qu'elle a un nom de prune, mais elle est d’emblée une victime. L'Enlèvement de Mirabelle est créé en janvier 1935 et raconte comment Mirabelle a été enlevée. Il faut aller la récupérer dans le royaume de Kiki-Koko en Négritie occidentale. Évidemment l'oncle Sébastien et les neveux vont la sortir des griffes des brigands ! On se trouve face à une dramaturgie traditionnelle avec un événement déclencheur, l'enlèvement, suivi d’une quête dans des pays exotiques dont le caractère onomastique est là aussi fortement idéologique. On pourrait travailler sur la place de la diversité dans le théâtre jeune public : le royaume de Kiki-Koko, la Négritie occidentale…

Il est vrai que le théâtre de l'Oncle Sébastien, qui se développe beaucoup jusqu'en 1939, fait la part belle aux distributions masculines. Chancerel, on le voit au fil de ses directions d’acteurs, de ces adaptations (il a adapté La Tempête, Tartuffe) met surtout en scène des hommes dans des dramaturgies qui sont des enquêtes, toujours assez machiavéliques… Dans Le Mystère du bois bourru par exemple, il s'agit d'une institutrice (une princesse changée en sorcière) qui entraine ses enfants dans le bois bourru et se révèle une magicienne sorcière. Donc entre la jeune fille enlevée par d'affreux brigands et la sorcière perverse, nous voyons que la vision de la femme victime ou maléfique entre dans certains stéréotypes. Pourtant, il ne faut pas faire de présentisme et juger Chancerel à l'aune de nos représentations contemporaines. Il écrit et joue lors des expositions internationales dans un contexte colonial extrêmement fort (les années 30) avec des zoos humains qui sont exposés dans les expositions internationales… Les zoos humains sont, dans les expositions internationales à partir du début du XXème siècle, des espaces où l’on confine des populations africaines ou asiatiques colonisées par la France (donc de l'empire colonial français) qui vivent sur le lieu comme s'ils étaient sur leur territoire, avec reconstitution des huttes, des instruments de musique. On les regarde comme des animaux. Ces zoos humains ont perduré jusqu‘avant la guerre. Alors finalement, il ne faut pas non plus le juger à notre aune le fait que Chancerel soit dans cette mouvance et que ses pièces mettent en scène, des enlèvements, des vols, des détournements. D'après les critiques de l’époque, ce furent des spectacles profondément merveilleux, bien interprétés, rigoureux, pas commerciaux… Le Théâtre de l’oncle Sébastien jouait devant 600 à 1000 enfants, présentaient leurs pièces à la Maison de la Chimie dans le VIIème arrondissement mais aussi dans d'autres théâtres où venaient des enfants pauvres. Il ne faut donc pas minimiser l'œuvre de Chancerel qui était un catholique éveillé, fraternel… Malgré tout, pendant la guerre il a été maréchaliste et a écrit un texte Oui Monsieur le Maréchal par Pouique-Le-Glouton et Lududu. Je pourrai vous communiquer un lien sur internet pour essayer d'entendre le style Chancerel et une bonne biographie de Maryline Romain, Léon Chancerel, portrait d'un réformateur du théâtre français (1886-1965), Éditions de L'Âge d'homme, Lausanne, 2005. Le Noël raconte une histoire édifiante qui se passe le 24 décembre et il est intéressant de remonter le temps et de découvrir le jeu, la dramaturgie, le niveau de langue, la stylistique… C'est extrêmement intéressant à écouter et à analyser pour penser l’évolution du théâtre pour la jeunesse.

 

Le Noël de Chancerel : https://www.youtube.com/watch?v=elh68ASdBc

 

Ce qui est intéressant aussi à savoir c'est que Chancerel, en juillet 1939, dépose auprès de Jean Zay le projet de création de CDN centres dramatiques nationaux pour la jeunesse et que la guerre va évidemment interrompre toute possibilité de création de ces CDN.

 

Après la guerre nous trouvons un corpus plutôt socialiste et anarchiste avec Miguel Demuynck. J'ai eu accès à Youm ou les longues moustaches de Georges Riquier parce que j’ai une camarade qui jouait dedans. Il s’agit d’un conte qui se passe en Chine, avec là aussi pas mal de jeux de langue et encore des brigands et des personnes kidnappées, des rôles de femmes qui sont aussi des victimes ou des mères…

 

A partir de 1960, Maurice Yendt et Michel Dieuaide au théâtre des Jeunes années de Lyon refusent l’infantilisme, les formes de théâtre élitistes et proposent des spectacles engagés, notamment Les Lions de sable (1978) sur le sexisme. « Les “lions de sable” tapent brutalement du poing sur la table pour perpétuer la comédie des sexes, pour verrouiller le carcan des rôles obligés que la société impose, dès l’enfance, aux hommes et aux femmes. Pourtant le pouvoir des lions n’est rien d’autre qu’un pouvoir de sable pouvant facilement s’effriter. » http://www.mauriceyendt.fr/portfolio- item/les-lions-de-sable/

 

Catherine Dasté, dès la fin des années 60, place la dramaturgie du théâtre jeunesse dans un autre lieu que la dramaturgie traditionnelle et aristotélicienne, c'est à dire qu'elle va aller dans les classes pour écrire et faire écrire les enfants. Elle va mettre en place des ateliers et ce sont les enfants qui, à partir des propositions que les artistes leur font, vont créer des saynètes, un canevas. Elle va ensuite écrire à partir de ce que les enfants ont inventé. Les décors seront aussi créés à partir des dessins des enfants. Mais très vite, elle se rend compte que les enfants ont un imaginaire très conventionnel, qu'ils sont incapables d’esprit logique. Ce qu’elle entend par pensée logique, c'est vraisemblablement une pensée dramaturgique, une logique dramaturgie au sens aristotélicien, c'est-à-dire le moteur d'une action qui est conditionnée par le vraisemblable et qui déroule inexorablement ses intrigues et ses péripéties jusqu'à un épilogue et une résolution finale. Elle abandonne donc cette façon de faire pour travailler sur d'autres corpus, sur les siens, avec des compositeurs dont Michel Puig, et propose des spectacles exigeants. En 1977-1978, à partir de la création des Centres Dramatiques Nationaux pour l'enfance et la jeunesse, le corpus va se développer, mais sans que l'on puisse forcément accéder aux textes. Ils sont consultables maintenant chez Catherine Dasté en Bourgogne.

 

Dans les années 1968-1975-1980, on assiste à une efflorescence du théâtre pour la jeunesse et les pièces créées proposent souvent une quête pour réparer un manque, un voyage, et tout un monde fantasmatique où fleurissent des personnages types : rois, reines, Pierrot, clowns… Je vais m'appuyer pour la période 1970/1980 sur un corpus belge extrêmement intéressant qui a été publié dans l’ouvrage Théâtre et jeune public 1970-1980. C’est une étude sociologique sur les dramaturgies du théâtre jeune public belge pendant cette décennie. Je ne vais pas tout développer mais axer mon intervention sur les personnages féminins adultes.

 

Cette analyse concerne les thématiques, les personnages, les représentations des métiers, les sphères de relations enfin les cadres spatio-temporels dont je ne parlerai pas forcément parce que cela nous concerne moins…

 

66% du répertoire concerne des pièces qui critiquent la société de consommation le totalitarisme les conquêtes impérialistes et le thème de l'agressivité. Nous sommes vraiment après 1968 dans un projet libertaire.

23% du corpus et des thématiques sont imaginaires : ce sont des aventures exotiques pour la plupart. 10 % concernent des pièces qui racontent des révoltes contre l'autorité publique.

Il y a aussi quelques pièces métaphysiques et 1 % de pièces « de fête et de jeu », de charades, des pièces poétiques ou de jeux inventés pour l'occasion.

 

Dans les personnages, nous comptabilisons 49% d'animaux. Ce théâtre conserve la tradition de personnages animaux. Ce sont des animaux masculins, enfin peut-être féminins, en tout cas le nom générique de l'espèce est masculin donc 49% d'animaux nous apparaissent en majorité masculins.

Nous avons quelques animaux féminins. La pieuvre qui est un personnage positif puisque c'est le symbole de l'amitié, la dragonne, symbole de la liberté… Et la taupe qui, dans une pièce, est définie comme le sous-prolétariat de la terre… Il y a peut-être des taupes mâles mais c’est « la » taupe donc une figure du sous-prolétariat….Je persifle….

La girafe représente la douceur, on la trouve encore dans certaines pièces comme symbole de douceur et d'amitié.

Chez les oiseaux, nous trouvons la pie voleuse ou qui aide le héros parce qu'elle est débrouillarde, l'autruche irresponsable puisqu’elle a la tête dans le sable, la poule coquette et amoureuse, la paonne (donc la femelle du paon) coquette et vaine… Ce qui est intéressant, c'est la translation des caractéristiques du mâle vers la femelle. Une femelle paon est extrêmement laide. C'est un gros oiseau tout « grisounet » avec les rémiges assez laides, alors que le paon, quand il fait la roue, est un éventail de couleurs et de beauté… Dans ce corpus, il est intéressant que la femelle du paon soit caractérisée par les qualités ou les défauts du mâle.

Chez les poissons, nous trouvons la sardine malicieuse (sûrement parce qu’elle se glisse partout) et la baleine taquine sans doute parce qu'elle pulse de l’eau pour respirer.

Chez les insectes, la mouche est une amie, la puce trapéziste et la grenouille sautillante. Donc il y a très peu d'animaux femelles dans un corpus très important.

 

 

 

Celui-ci rassemble très peu de personnages humains. Ce sont toujours des personnages animaux qui représentent les hommes ou les femmes. Anthropomorphisme et personnification traditionnels, que l'on rencontre dans les contes ou dans les fables. Selon ce que dit Hegel « le corps reflète l'âme », donc les animaux laids sont méchants (je n’ai pas parlé de l’araignée, l’araignée apparaît dans une pièce, évidemment elle est envoutante) et les animaux beaux sont généreux, bons, gentils, doux etc… L’animal, dans ce corpus, éteint les conflits au profit de la solidarité. Il défend et symbolise les valeurs traditionnelles. Or ce qui est très intéressant, c'est que nous allons voir se développer ces valeurs traditionnelles au fil de l'analyse du corpus et ce théâtre d’après 1968 promet des surprises !

 

Chez les autres personnages humains, nous trouvons des fées et des sorcières, soit traditionnelles, soit démystifiées, car elles dénoncent les pratiques crédules. On peut, grâce à elles, démythifier des pratiques de crédulité. Ainsi leur rôles sont davantage politiques, cathartiques, dédiées à la connaissance des leurres et nous pouvons voir ici des personnages féminins moins stéréotypés.

 

Nous trouvons également dans ce corpus des objets vivants comme des poupées et des cartes à jouer. La poupée est à la fois poupée amorphe puis poupée vivante, elle se révolte.. C'est la révolte des jouets qui est un thème assez traditionnel : la nuit, les jouets se révoltent, vivent leur vie propre voire s’enfuient de la chambre. Donc les poupées se révoltent contre leur condition de poupée.

 

Et puis nous trouvons des végétaux parmi lesquels la tomate qui est magique… Et la fleur. Là aussi, nous nous trouvons face à un stéréotype féminin : elle est vaine, coquette ou victime !

 

Donc vous voyez que les personnages de femmes, qu'elles soient humaines ou animales, ne sont pas très exaltées.

 

Dans les représentations professionnelles présentes dans ce corpus, nous trouvons un monde du travail dominé par les hommes. Les femmes sont paysannes, commerçantes, servantes, institutrices et vedettes. A la campagne les hommes sont aux champs, les femmes cuisinent. Dans la sphère du pouvoir : rois, chefs, ministres… il n'y a pas de femmes. Dans la sphère de l'armée : généraux, soldats, maréchaux, capitaines, sergents… pas de femmes non plus. Chez les policiers et les gendarmes… pas de femmes. Chez les artisans, elles sont marchandes de ballons, marchandes de fleurs, marchandes de glaces, marchandes de légumes. Dans l'enseignement, nous avons des institutrices et là le nombre est plus important : 10 femmes pour 3 hommes. Pas d'universitaires, pas de professions libérales, pas de patrons, pas d'administratrices, pas de sportives, pas de religieuses… Ceci dit il y a peu d’hommes qui représentent de ces métiers-là : il y a quelques universitaires qui sont des savants fous, des universitaires abscons qu’on ne comprend pas…

Comme vous le voyez, ce corpus n’est pas très représentatif de la société de l’époque où les femmes accèdent à d'autres statuts professionnels que « vendre des fleurs, des ballons, des glaces ou des légumes ».

 

Quant aux sphères présentes dans ce corpus, nous trouvons :

La famille, qui n’est pas énormément représentée : la grand-mère cuisine et le grand-père jardine (souvenez-vous bien de cette dichotomie parce que nous allons la retrouver).

La mère est protectrice, éducatrice mais aussi coquette, volage, répressive pour certaines pièces et égalitaire dans d'autres.

Le père lui dispose de l'autorité. Il promeut parfois l'égalité mais souvent ne comprend pas ce qui se passe et réprime.

Les rapports entre les maris et les femmes sont quasiment inexistants : pas de divorces, pas de conflits. Dans ce corpus-là, le couple n'existe pas, ou plutôt, il n'existe que par rapport aux enfants. Il n’a pas de problèmes économiques, pas de conflits extérieurs ni intérieurs, pas de maladies graves.

Pas de marques d’amour non plus, pas de câlins que l’on pourrait retrouver dans le corpus contemporain. C’est la famille autour de l’enfant, donc des figures qui, psychologiquement, ne sont pas très étayées, pas très développées, assez traditionnelles.

 

Dans la sphère de l'école qui est peu présente, l'école est très critiquée, les professeurs sont assez peu positifs et, entre les garçons et les filles, existent des taquineries, des petits jeux. On ne sent pas non plus de stéréotypes. Il y a une sorte d’indifférenciation des personnages garçons ou filles

 

Dans la sphère du travail, celui-ci est conçu comme une source d'épanouissement puisque c'est l'artisanat qui est valorisé dans ce corpus. Et le monde artistique. La majorité des pièces se passe dans un cirque, sur un théâtre, pendant des pièces, dans un univers artistique. Et l'idéologie sous- tendue, révèle que ce sont les artistes (mais surtout les artistes garçons) qui vont entrainer le public vers un monde libertaire, épanouissant, hédoniste, où chacun pourra se réaliser. C’est-à-dire que ce théâtre pour la jeunesse fait l'autopromotion de ses œuvres… c’est extrêmement intéressant… C’était un peu la même chose dans les compagnies indépendantes… C’est plus complexe dans les CDN parce que la programmation est riche d’adaptations, de contes, de romans et d’œuvres originales. Nous nous trouvons face à une philosophie humaniste qui célèbre l'homme indépendant de ces conditions historiques. On ne voit pas d'ouvriers, pas d’ouvrières, personne à la chaîne, pas de problèmes économiques, très peu de chômage, qui a pourtant commencé à se développer. Ce corpus promeut un idéal démocratique, libertaire, épanouissant et solidaire. Il suggère une vision un peu mythologique de la société, de l'enfant aussi. Les extrémismes sont refusés, alors que l’on sait bien que dans les années 70 jusqu'en 1978, la génération post soixante-huitarde a exalté certaines dictatures. Le théâtre pour la jeunesse prône un idéal libertaire, épanouissant, hédoniste, qui prépare une société soucieuse de ses plaisirs et individualiste. Ce théâtre exalte la liberté individuelle… mais surtout pour les garçons. Pour les pères, pour les artistes masculins… les hommes.

 

Dans les années 1980-1990, le théâtre jeune public se développe, en tout cas en France et en Belgique. A partir de 1994, Sylvie Cromer, sociologue, travaille sur les représentations féminines dans la littérature jeunesse et fait une enquête sur les représentations du masculin et du féminin dans les albums jeunesse dont les résultats seront publiés en 2005. J'ai un peu travaillé là-dessus, parce que Sylvie Cromer était intervenue lors d'un débat à Confluences sur « La genre humaine » à l’invitation de Carole Thibaut et elle avait évoqué la littérature jeunesse, l'album. Mais son étude ne concerne que de manière très connexe le théâtre jeune public.

Dans cette enquête que vous pouvez lire sur Google, elle s'aperçoit que dans les albums 60% des personnages sont masculins, 40 % sont féminins, qu'il y a une majorité d'adultes (73% pour 27 % d'enfants) et que le mâle blanc domine également. Le père a souvent un métier, la femme est mère au foyer et elle est représentée debout dans la cuisine pendant que l'homme est assis dans le salon avec un journal. En ce qui concerne les animaux (c’est affreux et terrible), comment montrer, quand il y a deux ours ou deux lapins, qu'il y a un lapin et une lapine ? Un ours et une ourse ? On met un tablier à la femme! Il y a peu de diversité dans ces albums mais il faut quand même relativiser et se dire que les éditeurs sont les commanditaires. L’album est un marché et donc la liberté textuelle et graphique est un peu contrainte parce qu'il faut que les animaux puissent être repérés. En ce moment, les jeunes femmes sont habillées un peu comme les hommes, avec des pantalons serrés des petits blousons : il y a une forme d'indifférenciation vestimentaire… Comment dessiner alors un ours et une ourse ? Mettre un blouson aux deux ne permet pas la différenciation… Si on met des cheveux longs, n’induit-on pas le stéréotype de la femme ? C'est assez délicat pour un illustrateur mais force est de constater que les albums consolident les rôles traditionnels de l'homme et de la femme et promeuvent des stéréotypes.

https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_2002_num_57_2_7341

 

Alors qu'en est-il dans le théâtre jeune public ?

Sylvie Cromer constate également qu'il y a une majorité d'adultes et peu d'enfants dans le corpus contemporain. Dès 1995, on commence à pouvoir travailler sur un corpus édité chez Très Tôt Théâtre dans lequel Dominique Bérody édite des textes, notamment de Claude Morand ou les premiers textes de Karin Serres et ensuite, nous avons à notre disposition les deux livres de Marie Bernanoce et l'analyse de Nicolas Faure.

BERNANOCE M., A la découverte de cent et une pièces, Paris, Editions Théâtrales, 2006.

Vers un théâtre contagieux, Paris, Editions Théâtrales, 2012.

FAURE N., Le Théâtre jeune public, un nouveau répertoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

 

Quand on regarde le théâtre jeune public donc de 1995 à nos jours, que trouvons-nous ? Nous avons un univers familial beaucoup plus développé que dans le corpus belge avec la présence de la sphère familiale et de nombreuses mères définies par leur fonction au sein de la famille : elles sont mères et ne portent pas de prénoms. Elles peuvent être mère célibataire, un peu débordée en général, mariée ou séparée. Nous trouvons également des filles et des sœurs qui sont caractérisées quelquefois par des diminutifs classiques comme « La Tiote » dans La Grande et la Petite de Nadine Brun-Cosme - qui sont espiègles mais qui ne se passent rien. Parfois, les sœurs se comportent comme des chipies et les versions chipies sont pour moi des versions stéréotypées et traditionnelles, héritées des contes où la jalousie fait rage. On trouve des ogresses chez Catherine Anne dans Ah ! Annabelle, des soeurs qui essaient d'empêcher Annabelle de trouver son fiancé, qui en retardent l'arrivée voire les mangent. Mais Beaugosse parvient à déjouer les pièges des ogresses. Dans La Princesse au petit pois d’après Andersen, mise en scène d’Edouard Signolet, les princesses successives qui essaient le fameux lit, sont à l’instar des sœurs de Belle dans La Belle et la bête (1947), des chipies épouvantables qui crient, qui piaillent contribuant à consolider l’image de la fille vaine, coquette, prêtes à tout pour se faire remarquer par le Prince Charmant.

 

Il y a donc quelques sœurs un peu un peu chipies, mais aussi des sœurs méchantes chez Bruno Castan dans Belle   des   eaux   parce   que   c'est   une   relecture   d'un   conte   traditionnel. Toujours dans la famille, nous trouvons des mères archétypales, mais non stéréotypées, notamment chez Nathalie Papin dans Debout où le petit garçon cherche sa mère. Il se couche dans une tombe parce qu’il veut mourir et est conduit par le fossoyeur à faire un voyage initiatique, une quête dans la terre pour chercher une mère. Nous avons la mère Oignon, la mère Verticale, la mère Papillon, la mère Ogresse, la mère Jardin et la mère des mères. Ces mères sont des figures anthropologiques de l’imaginaire, parce que, Nathalie Papin ne s'en cache pas, elle travaille sur les archétypes des contes traditionnels. Dans Debout, il faut lire un voyage initiatique à la manière du Faust de Goethe qui fait un voyage dans la terre au pays des mères. C’est donc une citation littéraire, on pourrait dire de l’intertextualité, parfaitement assumée et très intéressante parce que les personnages féminins dépassent les stéréotypes pour rejoindre ce qui unie l’espèce humaine dans ses rapports à la Mère.

 

Nous trouvons d'autres figures féminines telles que les vieilles. Les grands-mères… Chez Christine Blondel, dans La Vielle dame et la mer, nous sommes en présence d’une vieille dame en maison de retraite. Chez Bruno Castan, la vieille dame détruite par le progrès. Chez Philippe Dorin, dans Villa Esseling Monde et dans Ma maison de papier, la vieille dame, dans Mamie Ouate en Papoâsie, une dame d'âge mûr, dans Pacamambo la grand-mère qui meurt. La figure de la grand-mère est assez présente, quelquefois dans son rôle traditionnel où elle cuisine, où elle raconte des histoires, où elle est celle qui éduque parce que la mère travaille ou que les parents n'ont pas le temps. Je dirais que c'est davantage l’image de ma génération, qui a été élevée par les grand-mères, parce que les mères commençaient à travailler de manière intense… Mais il y a aussi la grand-mère qui décline, qui est en maison de retraite, qui est détruite par le progrès, qui s'affaiblit, qui souffre de la maladie d’Alzheimer, que l'on accompagne.

Il y a d'autres femmes, figures allégoriques. Par exemple, dans le texte de Françoise du Chaxel, La terre qui ne voulait plus tourner La Lune et La Terre sont des figures allégoriques : notre terre mère et notre lune satellite. Et pour mon corpus aussi, -parce que quelquefois à force de parler des autres je ne parle jamais de moi !-, dans La Consolation de Sophie, Sophie est l'allégorie de la philosophie. Raphaëlle Jolivet-Pignon l’a analysée comme la fée marraine. Pour moi, Sophie n'était pas la figure de la fée marraine, qui est une figure traditionnelle du conte qui vient aider l'héroïne à passer des épreuves, mais elle peut le devenir ! Pour moi Sophie est la figure allégorique médiévale de la philosophie, représentée comme une jeune femme, une vieille jeune femme parce qu'elle a 1500 ans à l'époque, vêtue de haillons, avec   des yeux qui lancent des éclairs et des cheveux qui se dressent sur sa tête. C’est Boèce qui la décrit ainsi dans Consolation de la philosophie. Boèce, philosophe gallo- romain (480-524), a été convaincu de corruption, emprisonné et décapité. Dans sa prison, bien qu'il soit chrétien, il ne convoque pas Dieu mais la Philosophie qui débarque sous la forme d'une belle jeune femme dans une robe en haillons. On peut y voir un aspect fantasmatique, mais c'est la figure traditionnelle de la philosophie dont il manque énormément de textes anciens : nous n'avons de Platon qu'un bout du Théétète, Le Banquet, un bout de La République et le Cratyle… Les haillons symbolisent tous les textes philosophiques qui ont disparu, d'abord parce que la philosophie a été attaquée, qu'on l'a pillée, et qu’il nous manque la logique, etc… que la Renaissance découvrira grâce aux textes antiques protégés par les byzantins. Voilà la figure allégorique de la Philosophie. Donc chez moi, il s’agit d’une allégorie traditionnelle, revisitée de manière contemporaine.

Pour le corpus de la fée marraine, on peut consulter Rafaelle JOLIVET-PIGNON, « La figure de la fée dans le théâtre contemporain » in Quatre courtes pièces pour une initiation au théâtre, Gripari, Grumberg, Rabeux, Tardieu, Paris, Flammarion, Etonnants classiques, 2015.

 

En ce qui concerne les professions dans le théâtre jeunesse…

Peu de professions sont représentées. Une bouchère et une institutrice dans Le Rire de la baleine de Christine Blondel, Madame Guéret qui est la gouvernante de L'Enfant sauvage chez Bruno Castan mais ce n'est pas un stéréotype : c'est une figure du XVIIIème, ,quelqu'un qui a existé puisque L'enfant sauvage raconte l'histoire de Victor l'enfant de l’Aveyron recueilli par le Docteur Itard et sa gouvernante, Madame Guéret … Une concierge chez Monique Enckel dans Deux jambes, deux pieds, mon œil.   Dans mon Maman Typhon, la mère est cadre, elle fait des vidéoconférences la nuit avec des pays étrangers. Nous avons dans Pinoc et Barbie (Jean-Claude Grumberg) une infirmière qui s'appelle Barbie…Nous trouvons des mythes féminins chez Fabrice Melquiot dans Bouli Miro, Pétula Clark et Sharon Stone, l'anglaise un peu niaiseuse des années 60 et Sharon Stone, sulfureuse, qui montre son sexe au détour d'un croisement de jambes.

Dans les pièces chorales, les chœurs de garçons et de femmes sont davantage indifférenciés. Je pense par exemple à L’Eté des mangeurs d’étoiles de Françoise du Chaxel pour le choeur des jeunes du village. Les personnages principaux, la jeune fille et le jeune homme turcs sont socialement décrits selon les statuts clairement différenciés d’une société où les femmes sont sous tutelle. Selma est opprimée par la culture traditionnelle turque, elle ne peut pas sortir seule, il faut qu’elle ait un tuteur, son frère, qu’elle demande la permission pour agir. Elle a intériorisé sa tutelle et n'ose donc pas aller vers le groupe des jeunes. Elle finira par y aller et s’épanouir …

Son frère est lui plus confiné et va disparaître carrément… Là, les rôles sont très marqués mais chez les adolescents et les adolescentes françaises, la différence garçon/fille n'est pas très marquée. Il y a des taquineries habituelles mais la pièce évite les stéréotypes. Chez Daniel Danis Le Pont de pierre et la peau d'images, dans le cœur des Tenants, on peut dire qu’il y a une indifférenciation des statuts. En ce qui concerne Momo le garçon et Mung la fille, peut-on dans les objets qui leur sont associés des stéréotypes de genre ? A Mung est associée la peau d'images et à Momo le pont de pierre. Peut- on dire que Momo est le constructeur et que Mung avec la peau d'images, se trouve du côté de la sensibilité et de l’imaginaire ? Peut-être qu’on peut soupçonner Daniel Danis d'inventer deux héros stéréotypés. Je n'irai pas jusque-là, mais il est vrai que le pont de pierre est offensif, traverse les fleuves, et apparait plus phallique que la peau d’images.

Nous trouvons aussi des chœurs chez Nathalie Papin avec Yolé tam gué où règnent des personnages à égalité : deux garçons et deux filles.

Voilà quelques exemples trop cursifs qui mériteraient une étude circonstanciée.

 

Quand Sylvie Cromer a fait cette intervention lors de cette réunion à Confluences, Karin Serres et moi, nous nous sommes dit : « Est-on en train d'écrire des stéréotypes malgré nous? ».

De retour chez nous, chacune a fait l'analyse de son corpus !!!

Dans Les Escargots vont au ciel, la Loutre est initiée par un garçon, le pivert des acacias mais il figure Gaston Bachelard avec sa fille… Il faut savoir que Bachelard a perdu sa femme à la naissance de Suzanne Bachelard en 1914, qu'il a élevé sa fille tout seul, ne s'est jamais remarié et que Suzanne Bachelard est devenue universitaire également. Il était donc logique par rapport à cette philosophie que dans Les Escargots vont au ciel, il y ait un homme qui conduise et une fille qui apprenne.

Dans Un hibou à soi, les sorcières sont les « pensées sorcières » de Deleuze, mais des personnes u public m'ont dit : « Oui mais ces sorcières, ce sont des sorcières comme d'habitude »… Des sorcières comme d’habitude… Donc Disney ! « Ça y est, je suis tombée dans le piège ! » me suis-je dit. En réalité, pas du tout, les sorcières figurent les pensées, leur statut est épistémologique et non genré. Ensuite j'ai interrogé Les Echelles de nuages : deux garçons… Pourquoi ? Parce que la pièce traite, entre autres, de la problématique de l'enfant unique masculin en Chine donc je ne peux pas faire autrement que d'inventer des personnages de garçons.

Cela m'a un peu soulagée…

J’ai demandé leur avis à Françoise Pillet et à Karin Serres dont je suis proche, puisque nous avons inventé Les Coq Cig gru un dispositif d'écriture d'urgence qui a été actif de 1998 à 2004 et qui est d'ailleurs venu écrire en 2000 dans le théâtre de Périgueux. Nous nous sommes placées dans des situations territoriales totalement folles pour écrire, chacune séparément, avec les enfants mais aussi pour eux. Quand j'ai préparé ce moment, je me suis dit que j’allais leur demander ce qu'elles pensent, elles, de leurs œuvres… Avez-vous écrit des stéréotypes ?

 

 

 

Françoise Pillet :

« Le maçon qui répare le pont est un homme dans L'odeur du papier mâché (Théâtrales jeunesse). Peu de maçonnes par chez nous et dans sa tête qu'il n'est pas si mec que ça et son rapport à la mort ne me semble pas du tout sexué : une femme peut penser de la même façon. Pour les adultes, j’ai réfléchi à tous mes monologues et je suis persuadée que si j’inversais le sexe de chaque personnage, la pièce raconterait la même chose. Peut-être que cela vient du fait que je tenais le rôle du garçon-bricoleur dans ma famille (électricien surtout !). Famille qui avait aussi loupé son deuxième enfant malencontreusement né fille… La représentante en dictionnaires (qu'elle a créée ici à Périgueux en 2000 dans Petite étude des dictionnaires) est certainement la plus genrée (que c'est moche ce mot !). Elle un patron homme (eh oui !). Il faut dire que le cousin Robert et Monsieur Larousse sont difficilement transformables en dames. Et dans mon œuvre il y a eu autant de musiciens que de musiciennes… Bref tout cela ne va pas t'aider mais j'ai essayé… »

 

Karin Serres :

« En plus des clichés qu'on ne reproduit pas toutes les trois, sauf si on le décide, genre maman cuisine, papa lit le journal, le truc qui m'avait le plus surprise pour les héros enfants dans l’étude de Sylvie Cromer, c'était que les filles réfléchissent alors que les garçons agissent, que les filles sont seules mais les garçons en bande. J’ai eu peur de reproduire ça sans savoir. Mais après vérification, mes héros réfléchissent tous très longtemps. Je pense que c'est bien de savoir qu'on risque de reproduire ces clichés, d'y faire attention, mais les personnages ont leur propre pouvoir qui résiste mal au forçage. Sinon j'essaie de faire attention d’écrire souvent de beaux rôles féminins, notamment pour les adultes, parce que c'est beaucoup plus rare que des beaux rôles d'hommes surtout passé 30 ans. Est-ce qu'on peut écrire des rôles non genrés ? Je l’ai fait dans Le Monde sous les flaques : les rôles étaient « intervertissables » exprès mais ça s'est révélé trop compliqué pour le duo comédien/comédienne. Et c'est galère pour l'écriture avec cette langue française qui décline tout. Je crois que Claudine Galéa l'a fait dans une pièce. En Suède, ils ont inventé un troisième pronom tout neuf, absolument neutre. Avec des étudiants, avec qui j'avais travaillé à Massalia autour du Monde des plateformes, ils et elles avaient créé le pronom « ul » pour le même usage. Il y a des pays où on peut être d'un troisième genre, ni homme ni femme, même sur sa carte d'identité (Allemagne, Australie). Voilà le résultat de mes pensées… Pour le moment… »

 

 

En guise de conclusion : la primauté de la mère perdure. Dans le cercle familial, qui n’est pas forcément traditionnel, il y a plus de pères que de mères, c’est net. Dans le corpus par exemple de Roland Fichet Colloque de bébés… C’est l'histoire de bébés qui viennent de naître et qui discutent à la maternité de ce qui leur est arrivé, de leur histoire… C’est extrêmement intéressant. Le problème majeur est la fuite du père, l'absence de père. Un thème que l'on retrouve beaucoup dans le théâtre jeune public de 1995-2005. Il y a pas mal de grand-mères et de vieilles dames, plus que de grands- pères. Il y a quelques grands-pères chez Melquiot, dans Le Gardeur de silence par exemple, chez Mike Kenny aussi. Les femmes sont souvent cantonnées dans le soin, l'enseignement, le commerce. En revanche beaucoup de personnages principaux sont des filles, mais des filles enfants ou adolescentes.

Une analyse sociologique serait à faire pour déterminer si le théâtre jeune public, le théâtre jeunesse, véhicule des stéréotypes de genre chez les adultes.

Malgré tout, je trouve que théâtre jeune public paraît moins stéréotypé que le théâtre généraliste ou la littérature jeunesse. Dans le théâtre généraliste, du moins jusque dans les années 2008-2010, on trouvait beaucoup de mères brimées, souvent par le père ou par la famille elle-même, aux prises avec des conflits et des reproches extrêmement caricaturaux. Chez les jeunes femmes, beaucoup de jeunes filles violées, énormément de victimes : soit elles meurent sous les coups de leur agresseur soit, soit elles deviennent folles. Nous avons ici la dialectique de la violée et de la folle qui accède par la mort à un statut iconique. Mais c'est encore la femme sur un piédestal : après l'avoir souillée, on l’exalte. Donc il faudrait questionner aussi ces stéréotypes dans le théâtre généraliste.

 

 

 

Pourquoi le théâtre jeunesse échapperait-il aux stéréotypes ?

Ce sont des hypothèses, franchement je n’ai pas de réponse fermée…

Peut-être parce que il y a moins de pression économique sur le théâtre jeune public. Il existe des pressions financières bien sûr parce qu'il y a moins de production, mais moins de possibilités financières, moins de personnages, moins d’acteurs ou moins d’actrices et qu'il est peut-être plus libre, en tout cas Marie Bernanoce défend cette liberté à la fois stylistique dramaturgique et actoriale.

J'ai une autre hypothèse en tant qu'actrice : il me semble que le travail de plateau a tendance à abolir les stéréotypes. Nous sommes en cours de théâtre entre garçons et des filles, on fait les mêmes impros. On travaille des scènes traditionnelles du théâtre historique où il y a beaucoup moins de filles plus de garçons, mais on travaille ensemble. Il est donc fort possible que les stéréotypes s'annulent, disparaissent ou s'affaiblissent pendant les répétitions à force de travailler ensemble. Dans l'album jeunesse, l'auteur est souvent une autrice et l’illustrateur un homme. Cela pourrait vouloir dire que le dessin est davantage stéréotypé. Le théâtre jeune public est peut-être moins rigide sur le plan idéologique. Est-ce que cela tient au mode de production ? Est-ce que cela tient à l'écriture au plateau ? Est-ce que cela tient à l'introduction des dramaturgies non textuelles qui viennent appuyer des dramaturgies textuelles ? C’est possible aussi…

Enfin par rapport à la place de l’autrice, mais je ne vais pas anticiper parce que c'est Françoise Du Chaxel demain qui va en parler, Leslie Kaplan, qui est dramaturge et romancière, écrit : « Pour écrire, il faut s'extraire de la place où l’on se trouve et assumer une bisexualité psychique ».

Alors je termine par une boutade A supposer que l'on ne soit pas déjà, en tant qu'être humain, bisexuel psychiquement…

Dominique Paquet

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